Identité et identification par l’ADN
Enjeux sociaux des usages non médicaux des analyses génétiques

Si la grande majorité des études en sciences sociales dans le domaine de la génétique sont relatives à la santé, ce colloque s’en distingue par le fait qu’il concerne les usages non médicaux de l’ADN. Ceux-ci se développent depuis une vingtaine d’années, dans des domaines aussi divers que les enquêtes policières et judiciaires, les demandes de regroupement familial en cas de migration, les recherches en parenté ou l’identification de victimes. L’identification des personnes par rapprochement d’ADN a conduit notamment à la constitution de vastes fichiers dits d’empreintes génétiques qui se développent dans de nombreux pays. En outre, de nouvelles approches visent à établir des corrélations entre d’une part des séquences d’ADN, d’autre part l’origine géographique et/ou des traits caractéristiques de l’apparence physique des personnes. C’est dire qu’au-delà de l’identification des personnes, leur identité même peut se trouver influencée par ces approches qui sont au cœur des biopolitiques contemporaines. Plus généralement, les diverses techniques qui visent à l’identification des personnes agissent sur leur identité sociale.
Certaines de ces techniques suscitent des débats moraux et politiques, voire des controverses, alors que d’autres n’en provoquent pas ou peu. Dans certains cas, l’ADN semble apporter des solutions à certains problèmes sociaux, alors que dans d’autres, il interroge de nouveau. Dans tous les cas, ces pratiques posent à nouveaux frais des questions classiques des sciences sociales. Elles contribuent en effet à reconfigurer un ensemble de frontières, ou pour paraphraser Ian Hacking, de « nœuds » sociaux, autrement dit de tensions résultant de tendances contradictoires : entre régimes de vérité et incertitudes, entre sécurité et liberté, entre identification et catégorisation des populations, entre souveraineté nationale et échanges internationaux.
Prenant appui sur ce constat, ce colloque vise à explorer quatre ensembles de questions :
1) Régimes de vérité et incertitudes : quelle est la place accordée à la preuve ADN par rapport aux autres preuves ou à d’autres indices, tels que les empreintes digitales ? Les différents acteurs sociaux (magistrats, enquêteurs, généticiens, etc.) ont-ils des points de vue différents selon la technique employée ? Quel rôle jouent ces innovations dans le puzzle que le professionnel sur les traces de la vérité doit constituer ? Quelle confiance est accordée à la preuve par l’ADN ? Le retour d’expérience des vingt dernières années incite-t-il à ménager à l’ADN une nouvelle place en tant que « machine de vérité » ?
2) Sécurité et liberté : comment sont définies socialement les formes de l’équilibre entre deux objectifs que sont d’un côté la sécurité et le bien-être des populations et d’un autre côté le respect des libertés et des droits individuels ? Comment sont délimités les fichiers génétiques en termes de contours et de contenu ? Quelle est la réception de ces innovations par le public ? Comment sont réparties les responsabilités entre les différents acteurs (magistrats, officiers de police, généticiens, etc.) dans l’alimentation, la gestion et la consultation des fichiers, le recueil des échantillons, la conservation et l’échange des données ?
3) Identification et catégorisation des populations : comment les questions d’identification (par rapprochement d’ADN) s’articulent-elles avec les objectifs de catégorisation des populations ou de caractérisation des personnes (origine géographique, etc.) ? Quelles interrogations morales, quels débats politiques émergent à ce sujet ? Que nous disent ces débats (ou leur absence) de la manière dont l’ADN transforme l’identification et la caractérisation des personnes ? Comment ces différentes pratiques influent-elles sur les politiques contemporaines de l’identité ?
4) Souveraineté nationale et échanges internationaux : comment la circulation des savoirs, des informations et des personnes se combine-t-elle à des régulations nationales en matière de collecte et de conservation des données ? Quelles sont les garanties données en contrepartie des informations échangées ? Quelles sont les personnes susceptibles d’être concernées par ces échanges internationaux (personnes recherchées, individus sous surveillance spécifique, personnes en situation irrégulière, etc.) ? Existe-il plus ou moins d’informations personnelles échangées depuis l’usage de l’ADN ?
Ce colloque propose un dialogue interdisciplinaire sur ces questions entre sociologues, anthropologues, juristes et historiens.
Il s’agit du colloque de clôture du projet soutenu par l’Agence nationale de la recherche FiTeGe « Fichiers et témoins génétiques : généalogie, enjeux sociaux, circulation » (coordinatrice : Joëlle Vailly, Iris, plus d’informations sur http://fitege.hypotheses.org/).
Comité scientifique / Comité d’organisation : Pascal Beauvais (Pr Université Paris Nanterre, CDPC), Florence Bellivier (Pr Université Paris Nanterre, CDPC/CRNST), Elisabeth Fortis (Pr Université Paris Nanterre, CDPC), Gaëlle Krikorian (post-doctorante Inserm, Iris), Christine Noiville (DR CNRS, CRNST), Florence Paterson (IGR ARMINES, CSI), Vololona Rabeharisoa (Pr PSL MINES ParisTech, CSI), Joëlle Vailly (DR CNRS, Iris)
Anthropologie, Sociologie et sciences politiques Biologie et société, Corps, Droit normes et société, Éthique, Famille, Génétique, Histoire du droit, Médecine, Médias, Migration(s), Politiques publiques
Informations pratiques
- Thursday 11 October 2018 - 09:00 to 17:15
- Friday 12 October 2018 - 09:30 to 15:45
- EHESS (amphithéâtre François Furet) - 105 boulevard Raspail 75006 Paris
- vailly@ehess.fr