Jean-Claude Chamboredon : un hommage par Pierre-Michel Menger

Jean-Claude Chamboredon fut un grand chercheur et un grand enseignant. Il enseignait par la recherche. Ses articles, si admirés, portent la trace de cette féconde combinaison. Ainsi, son fameux article de 1984 sur Durkheim comporte un appareil de notes de taille à peu près égal au corps de l’article. Il faut y lire l’immense culture de Chamboredon, mais y voir aussi à l’œuvre la nature généreuse de son savoir et de la mise à disposition de celui-ci : rien de caché ou de prélevé furtivement, mais une éthique du travail scientifique, scrupuleusement sourcé, et une générosité de la transmission de tous ses résultats. Comment ne pas éprouver pour la personnalité de notre collègue, et pour sa manière de travailler, une immense gratitude, quand, comme ce fut mon cas lorsque j'étudiais sous sa direction entre 1975 et 1980, il fit bénéficier les étudiants qu’il forma, à l’ENS, rue d’Ulm, puis à l’EHESS, de son inventivité et de sa générosité ? Enseigner par la recherche, c’était, pour Chamboredon, œuvrer par compagnonnage, non pas en se donnant en modèle écrasant pour qui voulait apprendre de lui, mais en montrant de quoi est fait le travail exigeant du savoir, celui de l’enquête, celui de la formation des hypothèses, celui de l’archive, celui de la lecture, précise mais aussi généreuse, et de l’étude, minutieuse, des travaux d’autrui.

Sa culture des sciences sociales était immense, internationale, et son goût pour toutes les sciences sociales l’amena à publier aussi dans des revues d’ethnologie, d’Histoire ou de sciences de l’éducation. Si ses convictions scientifiques traçaient des lignes de force qui sont apparues à un public plus large avec la publication des trois volumes qui reprenaient ses articles majeurs et qui parurent à partir de 2015 aux Presses de la rue d’Ulm, il n’imposait pas ses choix et ses préférences à ses étudiants et à ses compagnons de travail. Il aimait donner à admirer, c’était la noblesse de son enseignement ouvert, et il savait pratiquer avec humour l’humilité nécessaire du chercheur, qui est la forme souveraine d’exigence à l’égard de soi, et de la patiente création du savoir. Jean-Claude Chamboredon avait une belle personnalité. Nous étions heureux de l’aimer, nous sommes très tristes de le perdre.

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Chercheur(s):
Pierre-Michel Menger