Le IIAC devient le laboratoire d’anthropologie politique (LAP)

Fondé le 1er juillet 2022 à la suite de la reconfiguration de l’Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain (IIAC), le Laboratoire d’anthropologie politique (LAP) est une unité de cherche sous la cotutelle de l’EHESS et du CNRS. Il regroupe des anthropologues, des sociologues, des politistes, des philosophes, mais aussi des historiennes et historiens dans une approche interdisciplinaire, réunis autour de l’étude des relations de pouvoir, des processus de subjectivation et des enjeux politiques au sein des sociétés contemporaines.

Les membres de la direction du laboratoire, composée de Riccardo Ciavolella, Clara Lecadet, Catherine Neveu et Gianfranco Rebucini, expliquent ici l’ambition scientifique qui réunit les chercheuses et chercheurs ayant rejoint cette unité et les enjeux liés à sa reconfiguration.

 

Le Laboratoire d’anthropologie politique (LAP) est né de la reconfiguration de l’Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain (IIAC). En quoi l'insertion du terme « politique » est ici déterminante ?

Avec la reconfiguration de l’IIAC et sa transformation en LAP, nous avons souhaité formuler une équation vertueuse entre, d’une part, les acquis intellectuels et scientifiques d’une anthropologie interdisciplinaire du contemporain et, d’autre part, le renouvellement d’une anthropologie politique critique et engagée. Le LAP s’appuie ainsi sur les héritages de l’IIAC, comme l’anthropologie des institutions, qui a transformé les institutions politiques et les organisations internationales en terrains d’enquête pour les anthropologues, et la socio-anthropologie critique de la complexité. Mais insister sur la dimension intrinsèquement politique de l’anthropologie permet de montrer la dimension encastrée du politique dans tous les aspects de la vie sociale, ce qui s’avère nécessaire pour comprendre l’évolution des sociétés contemporaines, tant dans leurs crises que dans l’émergence de nouvelles subjectivités politiques.

L’anthropologie politique porte sur les multiples formes de pouvoir et de domination, ainsi que sur les processus de subjectivation, issus des luttes notamment, qui façonnent le monde contemporain. Il s’agit ainsi de décloisonner le politique : la saisie par le politique et par la réflexion critique concerne en réalité n’importe quel type d’objet en anthropologie. Les chercheuses et chercheurs du LAP pensent la nature, l’écologie, l’économie, l’art, le numérique, le genre, les migrations, par le prisme du politique, c’est-à-dire comme étant toujours déjà conditionnés par des agencements qui mettent en jeu des institutions, des subjectivités émergentes et des rapports de pouvoir et de lutte.

L’anthropologie politique a aussi bien sûr une ambition réflexive sur l’histoire de la discipline, sur ses objets, sur les relations de pouvoir et la distribution des places entre « enquêtrices / enquêteurs » et « enquêtées / enquêtés », dans la mise en œuvre et les formes de restitution de l’enquête, et dans la production du savoir. L’histoire et les héritages de l’anthropologie (coloniaux, idéologiques, sociaux, etc.), l’invention de dispositifs d’enquête, de restitution et d’écriture qui rendent davantage justice à ceux et celles avec qui se mène la recherche anthropologique, sont des questions incontournables et urgentes pour le présent et le futur.

 

Au-delà du changement d'appellation du centre, quelles sont les distinctions significatives du LAP vis-à-vis de l’IIAC ?

Tout en assumant et en prolongeant les ambitions qui ont été celles de l’anthropologie du contemporain, la fondation du LAP a comme objectif de faire de notre centre un lieu d’élaboration, de réflexion et de dissémination d’approches critiques pour l’étude des relations de pouvoir, des processus de subjectivation et des enjeux politiques au sein des sociétés contemporaines. Des évolutions institutionnelles internes ont permis le recentrage du laboratoire dans le paysage de la recherche à l’EHESS et, plus généralement, dans celui des sciences humaines et sociales internationales. Mais l’élément déclencheur a été l’émergence d’une nouvelle génération de chercheuses et chercheurs qui a concrétisé l’ambition, déjà présente au sein de l’unité depuis longtemps, d’affirmer le caractère critique et réflexif de notre manière d’entendre l’anthropologie et ses disciplines affines dans l’académie et la cité. Cela bat en brèche une vision classique, fermée et disciplinaire de l’anthropologie. Il s’agit au contraire de s’ouvrir aux réflexions les plus actuelles et aux avancées de la théorie critique, des « études » postcoloniales, de genre, etc., tout s’ancrant dans des savoirs théoriques et méthodologiques acquis, et dans des approches ethnographiques inductives, incarnées dans la vie des gens, réflexives, ouvertes aux expérimentations de l’écriture scientifique et de la co-production des savoirs.

 

Le LAP se veut un laboratoire « interdisciplinaire ». En quel sens ?

Une conception ouverte, inclusive et expérimentale de l’anthropologie et du « politique » comme objet, mais aussi comme posture, nous permet de penser le rapport entre anthropologie et interdisciplinarité autrement que comme deux termes qui s’excluraient l’un l’autre. Un enracinement théorique, épistémologique et méthodologique fort permet de s’ouvrir à une interdisciplinarité qui s’avère indispensable pour aborder des thématiques de l’anthropologie politique qui seront cruciales dans les prochaines années ; par exemple, la question écologique dans ses dimensions critique et politique, le rapport aux non-humains et aux technologies d’un point de vue philosophique, ou encore les nouvelles configurations de domination, d’injustices et d’inégalités qui doivent être appréhendées dans leurs sédimentations historiques et dans leurs articulations sociologiques.

Dans cette perspective, le LAP entend répondre aux exigences de sa double tutelle : le défi propre à l’EHESS de créer des espaces d’articulation des sciences humaines et sociales, mais aussi de dialogue avec l’art, l’objectif de l’INSHS de valoriser à la fois les acquis disciplinaires et d’en permettre l’échange, l’interaction et la convergence. Le LAP relève de de la section 38 du CNRS (Anthropologie et étude comparative des sociétés contemporaines), tout en rassemblant des chercheuses et chercheurs de l’EHESS, du CNRS ou sous convention d’accueil, relevant de l’anthropologie ou d’autres disciplines, et se reconnaissant dans cette approche. À ce propos, nous souhaitons rappeler que le projet du LAP a été pensé, depuis l’origine, avec notre regretté collègue Hadrien Saïag, anthropologue et économiste, qui était en train de renouveler, en dépit de sa jeune carrière et jusqu’à sa précoce disparition, le champ de réflexion sur les alternatives économiques, et qui se reconnaissait pleinement dans cette idée d’une anthropologie « politique » au sens large. Sa mémoire incarne nos ambitions.

 

Comment se compose l'équipe du Laboratoire d’anthropologie politique (LAP) ?

Elle se compose d’une majorité d’anthropologues, mais aussi de sociologues, de politistes, de philosophes, d’historien·nes et d’historien·nes de l’art, selon cette approche interdisciplinaire ouverte. Depuis la création du LAP, trois nouveaux chercheur·ses statutaires nous ont rejoint : Adèle Blazquez, anthropologue chargée de recherche au CNRS, Valérie Charolles, philosophe et magistrate à la Cour des comptes et Benoît Hachet, sociologue et PRAG à l’EHESS.

En fondant le LAP, nous avons collectivement fait le choix d’un laboratoire plus intégré, dépassant ainsi la forme quasi-fédérale de l’ancien IIAC (toutes les chercheuses et tous les chercheurs et IT sont désormais affiliés sans distinction au LAP). En même temps, nous avons tenu à garder la possibilité d’une affiliation secondaire et optionnelle à l’un des deux centres EHESS rattachés au laboratoire, le LACI et le LAIOS.

Une place très importante est accordée à la participation des doctorantes, doctorants, des docteures et docteurs aux activités collectives, notamment du point de vue de l’innovation théorique et de l’expérimentation dans les méthodes et les formes d’écriture et de restitution.

Le laboratoire héberge également une « Cellule audio/vidéo », un atout majeur pour le développement des recherches impliquant d’autres écritures en sciences sociales et de nouveaux langages de la recherche anthropologique.

Par ailleurs, nous soutenons deux revues importantes en sciences sociales : la revue Communications, anciennement associée au Centre Edgar Morin et publiée par les Éditions du Seuil, et la nouvelle revue en ligne d’anthropologie politique, Condition humaine / conditions politiques, publiée par les Éditions de l’EHESS et qui représente pour le LAP un instrument fondamental de production et de rayonnement scientifique pleinement inscrit dans la reconfiguration du laboratoire.

 

Quels sont les grands projets à venir au sein du LAP en 2022-2023 ?

Dans les prochaines années, nous développerons un travail collectif autour des quatre grands chantiers thématiques que nous avons fait émerger lors de l’écriture de notre projet de reconfiguration scientifique :

  • Institution(s) et processus instituants ;
  • Subjectivations / subjectivités politiques ;
  • Expériences, corps et émotions, substrats de l’anthropologie politique ;
  • De l’expérience à l’expérimentation politique.

L’ouverture de ces chantiers scientifiques se matérialisera dans la tenue, en juin 2023, d’un colloque intitulé « Mondes en crise, sujets émergents », qui sera en quelque sorte l’acte d’inauguration du LAP et l’occasion de lancer un débat autour de ces thématiques. Le colloque concrétisera le travail accompli jusqu’ici et sera un moment de prospection : voulu et soutenu par l’EHESS, avec les apports d’intervenantes et intervenants extérieurs, il permettra d’élaborer collectivement les grandes lignes du travail scientifique au sein du LAP dans les prochaines années. Les thèmes qui seront abordés portent par exemple sur les épistémologies des Suds, les nouvelles écritures en anthropologie, les institutions et les processus instituants, les ethnographies féministes et queer, les migrations, les gestes artistiques comme gestes politiques, les relations entre humains et non-humains. Ce colloque représentera de ce fait un moment important du processus de reconfiguration et posera les fondements d’un nouveau laboratoire clairement reconnaissable dans le panorama de l’anthropologie française et internationale contemporaine.

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