L'IFRA-SHS : « Favoriser les échanges scientifiques entre la France et l'Allemagne dans le domaine des sciences humaines et sociales »

Falk Bretschneider, maître de conférences de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), et Xenia von Tippelskirch, professeure à l’Université Goethe de Francfort, prennent en charge la direction de l’Institut franco-allemand de sciences historiques et sociales (IFRA-SHS), succédant à l’historien Pierre Monnet.

À l’occasion de l’installation de la nouvelle direction de l’IFRA-SHS, le 1er février 2023 à Francfort, placé sous la triple tutelle de l’EHESS, de l’université Goethe et du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, Falk Bretschneider et Xenia von Tippelskirch présentent dans un entretien croisé l'institut, ses projets et ses ambitions.

 

Qu’est-ce que l’IFRA-SHS ? Comment se positionne-t-il dans le paysage de l’ESR et à qui s’adresse-t-il ?

Xenia V. T. : L'Institut franco-allemand de sciences historiques et sociales (IFRA-SHS) / Institut français Frankfurt est une institution franco-allemande soutenue par le ministère français de l'Europe et des Affaires étrangères (MEAE), l'Université Goethe de Francfort-sur-le-Main et l'École des hautes études en sciences sociales, à Paris. Il remplit d'une part des missions de recherche et favorise les échanges scientifiques entre la France et l'Allemagne dans le domaine des sciences humaines et sociales, mais il est également, en tant qu'Institut français de Francfort, un institut culturel français qui,  avec un programme culturel riche, s'adresse toute l'année à un public large.

Falk B. : L'IFRA-SHS, dans sa forme actuelle, est issu de plusieurs institutions qui l'ont précédé et dans la tradition desquelles il s'inscrit. La plus importante en est la Mission historique française en Allemagne, fondée en 1977 à Göttingen par Robert Mandrou. Depuis 2009, la MHFA s’est installée à Francfort-sur-le-Main, dans les locaux de l’université, sous le nom d’Institut Français d’Histoire en Allemagne (IFHA), intégré dans les nouvelles structures d’un institut piloté depuis l’ambassade de France à Berlin. Ce déménagement dans une métropole internationale et active, située au cœur de l’Allemagne et de l’Europe, riche de nombreux musées, d'une grande Foire du Livre, d'une Bibliothèque Nationale Allemande et d’une université importante a permis à l'institut de poursuivre son activité déployée depuis plus de 35 ans. Depuis 2015, l'institut a été refondé en un "Institut franco-allemand de sciences historiques et sociales" (IFRA-SHS) sur la base d'une coopération tripartite  entre l'EHESS, le MEAE et l'université Goethe de Francfort.

 

L’Institut a la particularité d’être basé à Francfort, en quoi cela le différencie-t-il des autres institutions universitaires franco-allemandes ?

Xenia V. T. : En France, beaucoup pensent encore que Berlin est une sorte de Paris de l'Allemagne. Ce n'est pas vrai. En raison de la structure fédérale du pays, les principaux établissements d'enseignement supérieur sont répartis sur l'ensemble du territoire. L'université Goethe de Francfort est sans aucun doute l'un des plus forts d'entre eux - et aussi l'un des plus grands avec plus de 43 000 étudiants. Fondée en 1914, l'université est une véritable "université citoyenne", avec un fort ancrage dans la société urbaine, qui contribue par exemple à son financement par le biais d'une association de soutien. Le nouveau campus de l'université dans le quartier de Westend, où sont installées depuis 2001 les sciences humaines et sociales, témoigne également de ce fort engagement citoyen. Par son rattachement à l'université Goethe, l'IFRA donne donc une expression à ce fort ancrage régional de la science et de la recherche en Allemagne.

Falk B. : En outre, l'IFRA se distingue par deux caractéristiques. Contrairement au Centre Marc Bloch à Berlin, il met l'accent sur la période prémoderne, c'est-à-dire sur l'étude du Moyen Âge et de l'époque moderne. Cela ne signifie en aucun cas que les sciences sociales seront négligées, bien au contraire. Mais nous souhaitons avant tout coopérer avec des collègues de la sociologie, de l'anthropologie et d'autres disciplines afin de donner une profondeur historique aux questions de recherche actuelles. Deux thèmes seront particulièrement mis en avant : d'une part, les "dynamiques du religieux", c'est-à-dire les processus de négociation entre différents groupes religieux, mais aussi les polyphonies au sein des communautés religieuses et les forces constructives des malentendus ; et d'autre part, les "espaces impériaux", c'est-à-dire les formes spatiales d'une domination impériale qui ont malheureusement acquis une nouvelle actualité avec la guerre en Ukraine - même si nous ne voulons pas nous pencher uniquement sur les empires agressifs et expansionnistes. Et la deuxième particularité de l'IFRA est sa double nature d'institut de recherche et d'institut culturel. Nous en profiterons pour réfléchir davantage, dans les années à venir, aux liens possibles et aux passerelles entre art et sciences sociales.

 

Une nouvelle direction franco-allemande s’installe. Quelles sont les ambitions que vous souhaitez porter durant votre mandat ?

Xenia V. T. : L'engagement de l'université Goethe et de l'EHESS a contribué de manière décisive à ce que l'IFRA-SHS existe toujours, malgré les évolutions parfois menaçantes du passé. Nous en sommes très reconnaissants. Nous souhaitons tout mettre en œuvre pour que cette institution reste un relais important entre les acteurs culturels de Francfort et les chercheurs et chercheuses en Allemagne et en France. Nous voulons encourager la recherche avec une perspective franco-allemande, permettre la mobilité entre la France et l'Allemagne, servir d'intermédiaire entre les deux cultures scientifiques.

Falk B. :  Nous profitons de cet engagement pour développer la coopération entre les deux institutions dans les années à venir, notamment à travers des programmes d'échange, mais aussi des projets de recherche coopératifs comme les deux que je viens de citer, "Dynamiques du religieux" et "Espaces impériaux". Par ailleurs, nous espérons que l'EHESS et l'Université Goethe parviendront à mettre en place un laboratoire de recherche européen commun. Parallèlement, nous voudrions renforcer la coopération de l'IFRA avec d'autres universités avec lesquelles l'EHESS est également en contact, comme Heidelberg, Mayence ou Dresde. En d'autres termes, nous souhaitons qu'un axe Paris-Francfort serve de base à une coopération franco-allemande renforcée dans le domaine des SHS, avec un fort accent sur les questions historiques.

 

Dès les prochaines semaines, quels seront les chantiers prioritaires ?

Xenia V. T. : Ces dernières semaines ont été très chargées, car, comme d'autres institutions, l'IFRA a beaucoup souffert de la pandémie du corona. La nouvelle direction n'est au complet que depuis le 1er décembre, mais nous avons déjà fait pas mal de choses depuis. Avec la FMSH ("programme Atlas"), nous avons mis en place un programme de bourses pour des post-doctorants, l'appel à candidatures est ouvert jusqu'au 17 mars. C'est un complément important à notre offre traditionnelle de bourses. Par ailleurs, nous avons pu mettre à jour le site Internet de l'IFRA, qui fournit à nouveau des informations actualisées sur notre travail et nos offres de soutien. De même, nous avons soumis une demande de financement à l'Université franco-allemande pour intégrer Francfort, c'est-à-dire l'IFRA et l'université, dans le dispositif du Collège doctoral franco-allemand qui existe déjà entre l'EHESS et les universités de Berlin et Dresde.

Falk B. : Au programme des prochaines semaines figurent l'organisation d'une série de conférences avec des invités français, la participation à une école d'été sur l'histoire des religions et un séminaire sur la réception de la sociologie de Niklas Luhmann en Allemagne, en France et en Italie. Parallèlement, nous allons préciser la programmation scientifique, c'est-à-dire réfléchir avec nos partenaires de Francfort et d'ailleurs aux colloques, séminaires et invitations que nous souhaitons organiser ensemble dans les années à venir.

 

Quels sont les autres initiatives partagées avec l'Université Goethe ?

Xenia V. T. : La semaine dernière, les deux Global Offices se sont penchés sur le renforcement de la coopération. Les contrats Erasmus déjà existants seront complétés par d'autres, afin de permettre un maximum d'échanges. Nous pensons ici à toutes les catégories : Les étudiant.e.s en master, les doctorant.e.s et les enseignants-chercheurs et chercheuses doivent pouvoir circuler entre nos institutions.

Falk B. : Évoquons encore une autre initiative importante, étroitement liée à l'IFRA-SHS : le master en anthropologie/ethnologie, dirigé à l'École par notre collègue Klaus Hamberger. Il montre que, malgré la forte orientation historique de l'IFRA, les autres sciences sociales ne sont en aucun cas négligées dans notre travail. Et peut-être même parviendrons-nous à mettre en place un autre cursus binational entre nos institutions dans les années à venir ?