Le Brésil avant et après George Floyd. Entre déni et dénonciation

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Les images choquantes de l’assassinat de George Floyd, en mai 2020, et les nombreuses protestations ayant eu lieu un peu partout dans le monde ont eu une forte répercussion au Brésil. Dans un pays où 55,8% de la population s’auto-déclare noire ou parda (d’origine multiethnique), la violence envers cette majorité a toujours été monnaie courante, notamment celle exercée par la police dans les périphéries et quartiers défavorisés des grandes métropoles. Il n’est donc pas étonnant que les protestations se soient multipliées après cet événement dans des tribunes publiées par les principaux quotidiens, dans des entretiens, des podcasts et d’autres types d’expression sur les réseaux sociaux. Des artistes, des intellectuels et des journalistes ont, une fois de plus, dénoncé avec véhémence ces discriminations et ces actes de répression injustes et disproportionnés visant principalement les personnes non blanches. La perception de la « race » ou de la « couleur », au Brésil, dépend de la condition sociale attribuée à l’individu, ainsi que du lieu et du contexte de l’interaction. Au mois de juin 2020, d’autres images devenues virales ont révélé les insultes racistes proférées par un habitant d’un quartier aisé de la commune de Valinhos, dans l’État de São Paulo : « Tu es jaloux de moi à cause de ça ! », a-t-il dit, en montrant sa peau blanche au livreur métis qui ne se laissait pas maltraiter en silence.
Plus récemment, à la veille de la Journée nationale de la conscience noire (20 novembre), les caméras de vidéo-surveillance d’un magasin Carrefour de Porto Alegre ont enregistré une scène de meurtre par asphyxie d’un autre homme noir, Beto Lopes, perpétré cette fois par des agents de sécurité. Ces images insoutenables ont relancé le débat et suscité de nouvelles prises de parole, y compris parmi les plus hautes autorités du pays, pour qui ce « lamentable » incident « n’avait rien à voir avec le racisme », ce genre de « tensions » ne faisant « pas partie de l’histoire » du Brésil. Dans une argumentation répandue, mais encore plus inadmissible lorsqu’elle émane du gouvernement, le métissage a été présenté à la fois comme la preuve de l’absence de discrimination et comme le facteur qui empêche le racisme. Celui-ci serait donc une idée que « certains » – les intellectuels de gauche et les militants – essayent « d’importer » pour des raisons idéologiques.
Le recours à l’idée du métissage comme preuve de non-discrimination ou comme rempart contre le racisme n’est toutefois pas restreint au seul cercle des membres de l’actuel gouvernement d’extrême-droite et de leurs soutiens les plus fidèles et les plus largement médiatisés. Ce n’est pas non plus un fait nouveau. Dans les années 1930, au moment où le métis devenait le symbole de l’identité nationale, l’ouvrage Maîtres et esclaves de Gilberto Freyre donnait une nouvelle ampleur au mythe d’une « démocratie raciale » brésilienne. Élaboré dès la fin de l’esclavage, celui-ci allait connaître une diffusion bien au-delà des frontières brésiliennes. Les recherches réalisées dans les années 1950 sous l’égide de l’Unesco (auxquelles ont participé des spécialistes comme Florestan Fernandes, Oracy Nogueira ou Roger Bastide) ont commencé à déconstruire cette idée. D’autres études sociologiques ont suivi, confirmant que les populations noires étaient les plus concernées par la mortalité infantile, par la pauvreté, par l’analphabétisme ou par le chômage. Les analyses de Fernandes avaient montré l’existence d’une forme particulière de racisme, « le préjugé de n’avoir pas de préjugé », caractéristique d’un pays qui n’assumait pas publiquement ses attitudes et ses discours discriminatoires. En raison de la permanence d’un ethos catholique, le racisme à la brésilienne était une forme de discrimination dissimulée, non formalisée et asystématique qui se manifestait principalement dans la sphère privée.
Malgré ces constats, le mythe de la démocratie raciale ne s’est pas effacé, il a même été fortement mobilisé par la propagande officielle durant la dictature militaire (1964-1985). À la fin du régime autoritaire, les associations noires, apparues dès les années 1940, se sont réorganisées et ont ressurgi animées d’un militantisme encore plus déterminé. Promulguée en 1988, la nouvelle constitution brésilienne a enregistré les avancées des luttes institutionnelles pour affronter le racisme et les inégalités qui touchaient principalement la population noire. Sur cette lancée, la loi 11.645 de 2008 a été un exemple de cette dynamique : en complétant des textes antérieurs (1996 et 2003), elle a rendu obligatoire l’enseignement de l’histoire et de la culture afro-brésilienne dans tous les collèges et lycées. Parler du privilège blanc n’a plus été un tabou, malgré les réticences que ce débat rencontre et qui se manifestent de manière de plus en plus radicale depuis quelques années.
Nonobstant la permanence du mythe, la négation de l’existence du racisme et même de l’inégalité des droits effectifs entre personnes blanches et non blanches peuvent prendre d’autres formes. Cela passe notamment par le refus d’admettre les effets structurels et durables du système colonial et de l’esclavage africain dans la société brésilienne actuelle, alors même que le Brésil fut le dernier pays du monde à déclarer l’abolition, en 1888. Aux faits historiques et aux statistiques incontestables, on oppose l’égalité formelle des droits et les discours sur la méritocratie. On s’élève contre les quotas dans les universités et d’autres mécanismes de réparation envers les populations afro-descendantes ou amérindiennes en prétextant que ces personnes ne doivent plus être « victimisées ».
Comme dans plusieurs autres pays, les protestations antiracistes et décoloniales s’en prennent depuis quelques années aux monuments rendant hommage à des personnages historiques consacrés par le roman national brésilien. Si des déboulonnages n’ont pas (encore) eu lieu, à São Paulo, le Monumento às Bandeiras est régulièrement barbouillé de peinture rouge. Il s’agit de contester la vision que ces bandes d’aventuriers étaient les représentants d’une « race de géants » auxquels les Brésiliens doivent l’élargissement du territoire national et la découverte des gisements d’or et de pierres précieuses. Les manifestants souhaitent rappeler que leurs expéditions à l’intérieur des terres ont aussi provoqué la mort ou la mise en esclavage de nombreuses populations autochtones et la destruction de communautés marrons (quilombos). Toutefois, ces actions divisent les historiens brésiliens. Certains s’opposent à ce projet de réécriture du passé, vu comme révisionniste, autoritaire et anachronique ; d’autres le considèrent légitime car, affirment-ils, il y avait « d’autres visions morales possibles » à l’époque où ces hommes ont vécu et, ajoutent-ils, si l’histoire s’écrit quand on érige des statues, elle s’écrit aussi lorsqu’on les abat.
O Brasil antes e depois de Georges Floyd: entre negação e denúncias
As imagens chocantes do assassinato de Georges Floyd, em maio de 2020, e os numerosos protestos que ocorreram em várias partes do mundo tiveram uma forte repercussão no Brasil. Em um país onde 55,8% da população se autodeclara negra ou parda (de origem multiétnica), a violência contra essa maioria sempre foi uma prática comum, principalmente quando exercida pela polícia nas periferias e bairros desfavorecidos das grandes metrópoles. Não é, pois, surpreendente que os protestos tenham se multiplicado em artigos publicados pelos principais jornais, em entrevistas, podcasts e outros tipos de publicações em redes sociais. Artistas, intelectuais e jornalistas, mais uma vez, denunciaram com veemência tais discriminações e atos de repressão injustos e desmedidos que visam principalmente as pessoas “não brancas” - lembrando que, no Brasil, a percepção de raça e de cor depende da condição social atribuída ao indivíduo, bem como do lugar e do contexto da interação. No mês de junho de 2020, outras imagens “viralizadas” revelaram os insultos racistas proferidos pelo morador de um bairro nobre da cidade de Valinhos, no estado de São Paulo : “Você tem inveja de mim por causa disso”, disse ele, mostrando sua pele branca ao entregador mestiço que não se deixava maltratar em silêncio.
Mais recentemente, às vésperas do Dia Nacional da Consciência Negra (20 de novembro), as câmeras de segurança de um supermercado Carrefour de Porto Alegre registraram uma cena de assassinato por asfixia de outro homem negro, Beto Lopes, perpetrada dessa vez pelos agentes de segurança. Essas imagens insustentáveis relançaram o debate e suscitaram novas declarações, inclusive entre as maiores autoridades do país, para quem esse “lamentável” incidente “não tem nada a ver com o racismo”, já que este tipo de “tensão” não faz “parte da história do Brasil”. Utilizando uma argumentação bastante difundida, mas ainda mais inadmissível quando emana do governo, a mestiçagem foi apresentada como uma prova da falta de discriminação e como um fator que impediria o racismo; este último seria uma “invenção” vinda de outros países que “alguns” – os intelectuais de esquerda e os militantes – tentam “importar” por razões ideológicas.
O recurso à ideia da mestiçagem como prova da não-discriminação ou como barreira contra o racismo não é, entretanto, restrita somente ao círculo dos membros do atual governo de extrema-direita e de seus apoiadores mais fiéis e mais amplamente midiatizados. Também não é um fato novo. Nos anos 1930, quando o “mestiço” se tornava símbolo da identidade nacional, a obra Casa-grande e Senzala de Gilberto Freyre dava uma nova dimensão ao mito da “democracia racial” brasileira. Elaborada desde o fim da escravidão, esta ideia conheceria uma difusão muito além das fronteiras brasileiras. Foram as pesquisas realizadas nos anos 1950, sob a égide da Unesco (das quais participaram especialistas como Florestan Fernandes, Oracy Nogueira ou Roger Bastide), que começaram a desconstruir essa ideia. Outros estudos sociológicos se seguiram, confirmando que as populações negras eram as mais atingidas pela mortalidade infantil, pela pobreza, pelo analfabetismo ou pelo desemprego. As análises de Fernandes mostraram ainda uma forma particular de racismo, “o preconceito de não ter preconceito”, característica de um país que não assumia publicamente suas atitudes e seus discursos discriminatórios. Em razão da permanência de um ‘ethos católico”, o racismo à brasileira era uma forma de discriminação dissimulada, informal e não sistemática que se manifestava principalmente na esfera privada.
Tais constatações não bastaram para apagar o mito da democracia racial; ele foi, ao contrário, fortemente mobilizado pela propaganda oficial durante a ditadura militar (1964-1985). Ao fim do regime autoritário, as associações negras, criadas desde a década de 1940, puderam se reorganizar e ressurgiram com um militantismo ainda mais determinado. Promulgada em 1988, a nova constituição brasileira registrou os avanços das lutas institucionais para enfrentar o racismo e as desigualdades que atingiam principalmente a população negra. A lei 11.645 de 2008 foi um dos exemplos dessa nova dinâmica : completando textos anteriores (de 1996 e de 2003), ela tornou obrigatório o ensino da história e da cultura afro-brasileiras nos estabelecimentos públicos e privados. Falar do “privilégio branco” deixou de ser um tabu, apesar das reticências que esse debate ainda encontra e que se manifestam de maneira cada vez mais radical nos últimos anos.
A despeito da permanência do mito, a negação da existência do racismo, e mesmo da desigualdade de direitos efetivos entre pessoas brancas e não-brancas pode assumir outras formas, como a a recusa em admitir os efeitos estruturais e duradouros do sistema colonial e da escravidão africana na sociedade brasileira atual - muito embora o Brasil tenha sido o último país do mundo a declarar a abolição, em 1888. Fatos históricos e estatísticas incontestáveis são minimizados e contrapostos à igualdade formal dos direitos e aos discursos sobre a meritocracia. Naturalmente, tais discursos protestam veementemente contra as “cotas” nas universidades e contra outros mecanismos de reparação destinados às populações afrodescendentes ou ameríndias, afirmando que tais pessoas não devem mais ser “vitimizadas”.
Como em vários outros países, os protestos antirracistas e “decoloniais” dos últimos anos visaram monumentos homenageando figuras históricas consagradas pelo romance nacional brasileiro. Se as derrubadas (ainda) não ocorreram, em São Paulo, o “Monumento às Bandeiras” é regularmente manchado de tinta vermelha. Trata-se de contestar a visão de que esses grupos de aventureiros eram os representantes de uma “raça de gigantes” aos quais os brasileiros devem o alargamento do território nacional e a descoberta de minas de ouro e de pedras preciosas. Os manifestantes desejam lembrar que as “bandeiras” provocaram a morte ou o cativeiro de muitas populações autóctones e a destruição de comunidades quilombolas. Entretanto, tais mobilizações dividem os historiadores brasileiros. Alguns se opõem ao que les consideram como um projeto para “reescrever do passado”, visto como “revisionista”, “autoritário” e “anacrônico”. Outros o consideram legítimo pelo fato de que existiam “outras visões morais possíveis” à época em que os bandeirantes viveram, e também porque a história se escreve não só quando se erguem estátuas, mas também quando elas são derrubadas.
Pour en savoir plus :
- Djamila Ribeiro, La Place de la parole noire, Paris, Anacaona, 2019
- Florestan Fernandes, « Beyond Poverty : The Negro and the Mulatto in Brazil », Journal de la société des américanistes, 1969, n° 58, p. 121-37
- Freyre Gilberto, Maîtres et esclaves. La formation de la société brésilienne, Paris, Gallimard, 1952
- Lemos Igreja Rebecca et Magalhães Tavolaro Lília, « “Race” et racisme au Brésil », Socio, 2015, n° 4, p. 223-40
- Moritz Schwarcz Lília, « Le complexe de Zé Carioca : notes sur une certaine identité métisse et malandra », Lusotopie, 1997, n° 4, p. 249-65
La Direction de l'Image et du Son recommande :
- « Destitution de Dilma Rousseff ? La démocratie brésilienne en crise », 19 avril 2016
- « Au-delà de la Coupe du monde : politiques et mobilisations populaires au Brésil », 2 juillet 2014
- « "Midi de Brésil(s)" - Les inégalités raciales au Brésil et aux Etats-Unis, 1990-2010 », Fondation des Sciences de l'Homme, 8 avril 2013
A retrouver dans le Carnet de l’EHESS : perspectives sur l’après-George Floyd :
- Barreyre Nicolas, « Que racontent les statues ? », 1 juillet 2020
- Gunthert André, « George Floyd : les images de violence imposent-elles la vision des bourreaux ? », 6 juillet 2020
- Thibaud Clément, « Post-esclavagisme en Amérique Latine », 15 septembre 2020
- et la bibliographie générale du Carnet de l'EHESS : perspectives sur l'après-George Floyd
On en parle dans les médias :
- « Le Brésil en proie aux démons du racisme », Nathalie Hernandez, France Culture, 28 novembre 2020
- « L’ONU dénonce le "racisme structurel" au Brésil », Henrique Valadares, France 24, 24 novembre 2020
- « Brésil : la seule nation où la coexistence raciale se soit instaurée dans l’ensemble du peuple », Édouard Bailby, Le Monde diplomatique, avril 1965
Retrouvez l'intégralité des interventions médiatiques des chercheurs et chercheuses de l'EHESS dans la revue de presse « Regards de l'EHESS : l'Amérique fracturée ? ».
Claudia Damasceno Fonseca est directrice d’études à l’EHESS et co-directrice du CRBC-Mondes Américains.
Aline Martello est historienne et titulaire d’un Master en sciences sociales par le programme européen TEMA+ (EHESS, Paris / ELTE, Budapest).