
Connaître à l'ère du soupçon - Carnets de l'EHESS
Les Carnets de l’EHESS ont pour vocation d’œuvrer à la compréhension de grandes questions mises en lumière par l’actualité sociale et politique en mobilisant les outils que nous proposent les sciences sociales. Telle est d’ailleurs la vocation de l’Ecole : produire les savoirs qui permettent aux sociétés et aux acteurs sociaux de prendre conscience d’eux-mêmes, d’améliorer leurs marges d’action voire d’ouvrir les voies de l’émancipation.
L’assassinat de George Floyd puis, plus récemment, les ravages de tous ordres engendrés par la pandémie de coronavirus ont donné lieu à de telles démarches. Des chercheurs et des chercheuses ont proposé des analyses démarquées du sens commun, de l’essayisme ou de l’enquête journalistique tout en affichant une volonté de s’adresser au plus grand nombre. Nul jargon dans ses textes brefs et incisifs, nulle barrière rendant le propos inaccessible à force d’abstraction, c’est au contraire le souci du terrain, de l’expérience et du « cas » qui habite tous les auteurs sollicités, toujours soucieux cependant de « montée en généralité ».
Cette nouvelle série des Carnets de l’EHESS part de l’observation courante de sociétés contemporaines en proie à la rumeur, à la « fausse nouvelle », aurait dit Marc Bloch, et, finalement, à la défiance généralisée qui mine le lien social. On accuse, non sans quelque fondement, les « réseaux sociaux » d’être à l’origine de cette nouvelle configuration où le soupçon semble s’être installé au cœur de nos relations sociales. Comment penser qu’ils puissent être les seules causes de l’épuisement de la confiance sociale ? Le diagnostic général est cependant le bon. Loin d’apporter les bienfaits d’un « esprit critique » tempéré par un bon usage de la raison, le relativisme radical contemporain, produit par cette ère du soupçon, fragilise de plus en plus nos sociétés en les rendant plus que jamais éruptives. La mise en doute de tous et de tout ronge le ciment social et nous menace peut-être d’un effondrement moral dont il sera difficile de se relever.
Cette lecture peut-être trop sombre sera mise à l’épreuve des études qui suivent et suivront. Il était indispensable de s’emparer d’une telle question tant les sciences sociales sont elles-mêmes menacées par un soupçon institué sans limite et sans mesure comme seule modalité possible d’accès à la « vérité ». Bien repéré et correctement décrit ce mal devra trouver ses remèdes définis sur la base d’un examen approfondi que nous proposent les chercheuses et les chercheurs réunis dans cette nouvelle livraison des Carnets. Que toutes et tous en soient vivement remerciés.

Comité Editorial 2022 : Caroline Callard, Pablo Blitstein
Traductions : Sébastien Le Pipec
Publications, visuels, diffusions : Service de la communication