Quel avenir pour le télétravail après le confinement ?

Le monde du travail ne sera plus le même après le confinement et cela sera probablement en partie du fait du développement du télétravail. D’après les données de l’enquête Eurofound, qui a interrogé des milliers d’Européens entre avril et juillet 2020, plus de 37 % des Français l’ont expérimenté à cette occasion. Pratique marginale avant le confinement, le télétravail est devenu l’une des pièces essentielles des politiques de gestion du coronavirus car il allie continuation de l’activité et protection des employés car le lieu de travail peut être aussi un lieu de contamination. D’après l’enquête Eurofound, les pays où le télétravail s’est le plus développé pendant le confinement sont aussi ceux où la crainte de perdre son emploi a le moins augmenté avec le confinement.

Mais l’expérience forcée du confinement a aussi levé certains doutes ou en tout cas rassuré quant à la praticité du télétravail du côté des managers. Depuis début septembre, PSA teste le télétravail à grande échelle : pour 20 % de ses 200 000 salariés, plus d’un tiers du temps de travail devra être passé en télétravail. La Maif a, dès juillet, facilité l’accès au télétravail en signant un nouvel accord avec les partenaires sociaux. PSA et la Maif ne font qu’emboîter le pas à Facebook et d’autres entreprises de la Silicon Valley qui ont annoncé en mai une radicale transformation de leur politique de recrutement : il est prévu qu’environ 50 % des futures embauches à Facebook soit entièrement en télétravail.

Sans aller jusqu’aux extrêmes californiens, qui ont beaucoup à voir avec les prix très élevés de l’immobilier là-bas et la politique d’immigration restrictive américaine, le confinement a donc peut-être signé le premier acte de l’émergence d’une nouvelle norme où travail présentiel et télétravail vont de pair. D’une part car le coût des mesures de prévention rendent le télétravail plus attractif que le travail présentiel, d’autre part car les pertes en termes de productivité du télétravail ont peut-être été jusqu'ici surestimées. Le dernier rapport de l’OCDE sur le télétravail essaie de dépasser son aspect purement sanitaire et recommande deux à trois jours télé-travaillés par semaine dans les emplois où c’est possible. Le projet de généralisation du télétravail à PSA est baptisé  “A new era of agility” et voit dans le temps long. Dans certaines entreprises, le télétravail occasionnel est dorénavant vu comme un atout pour attirer de nouveaux talents et un élément supplémentaire de flexibilité.

Mais le deuxième acte commence maintenant ; après l’urgence vient le temps de la négociation. Comment organiser la généralisation du télétravail occasionnel pour les salariés concernés, qui sont, on le rappelle, toujours une minorité ? Le dernier Accord National Interprofessionnel sur le sujet remonte à 2005 et mettait en avant deux principes fondateurs : le volontariat et la prise en charge des frais par l'employeur. Mais ces dispositions, qui laissent une certaine souplesse à l’employeur, risquent de ne plus suffire.

D’abord, l’expérience du télétravail pendant le confinement a permis de réaliser qu’il introduit de nombreuses inégalités entre travailleurs : avoir une bonne connexion internet, une chambre ou une pièce à soi, vivre dans un logement surpeuplé ou non, etc. change radicalement l’expérience du télétravail. Du côté des représentants des salariés, on peut alors demander aux employeurs une plus grande participation afin de gommer ces nouvelles inégalités, d’autant plus que le télétravail s’accompagne en général d’un investissement horaire plus important.

Ensuite, la notion de volontariat garantie par l’ANI de 2005 concerne la participation ou non au télétravail mais pas son organisation. C’est une distinction bénigne quand le télétravail reste marginal mais elle ne l’est plus quand le nombre de jours télé-travaillés augmente. Même si un accord de principe est trouvé sur le recours au télétravail, qui doit alors déterminer quels jours sont télé-travaillés et lesquels ne le sont pas ? Le manager ou l’employé ? D’un côté, laisser le contrôle de l’organisation du télétravail au manager enlève une grande partie de la flexibilité permise pour le salarié. De l’autre, au fur et à mesure que le télétravail se généralise, son effet disruptif peut s’aggraver et la nécessité d’une coordination centrale augmenter. La mise au télétravail d’une personne n’affecte pas seulement sa productivité propre mais aussi celle de ses collègues.

Ce sont ces débats qui déjà font rage autour du télétravail, ils concernent donc moins la place que doit prendre le télétravail que sa mise en pratique, ce qui était impensable il y a même un an. Le troisième acte de l’émergence du télétravail sera peut-être plus long et portera peut-être sur la désirabilité ou non d’aller au-delà du télétravail occasionnel. Se poseront alors des questions tout aussi profondes sur les inégalités territoriales en termes d’accès à internet et la façon dont les territoires peuvent profiter (ou pâtir) de l’émergence du télétravail, sur le rôle des télétravailleurs étrangers (et le droit du travail qui s'applique à eux) dans tout cela ou bien sur le coût environnemental du télétravail.

 

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A propos de l'auteur: 

Cyprien Batut est docteur en économie de l'EHESS (PSE). Ses travaux portent sur les mutations contemporaines du travail.