
Mardi 24 mai 2016, une rencontre était organisée à l’EHESS par le LabEx Tepsis autour du monde carcéral, en partenariat avec la Mission de Recherche Droit et Justice, le Genepi, l’Observatoire International des Prisons et Prison Insider.
Une dizaine de jeunes chercheurs ont présenté leurs travaux sur le monde carcéral, dans un format dense de 7 minutes par présentation. L’objectif était de mettre en valeur les travaux de jeunes chercheurs en sciences sociales et de fédérer un réseau de praticiens et de chercheurs sur la détention et les prisons (Réseau des doctorants, chercheurs et professionnels du monde carcéral).
Le public était composé pour l’essentiel d’étudiants, de militants associatifs, de représentants du ministère de la Justice, de visiteurs de prison, de personnels de santé et d’universitaires spécialistes des questions carcérales, qui ont eu l’occasion d’échanger leurs points de vue en discutant les différents sujets abordés dans la matinée.
La série des présentations a d’abord permis de confronter deux perspectives historiques sur le système carcéral de l’empire colonial français, puis d’illustrer la diversité des approches du monde carcéral dans la recherche en sciences sociales (cf. résumés ci-dessous). La demi-journée s’est terminée sur la présentation d’un outil d’observation numérique sur les prisons à travers le monde, - projet porté par le fondateur de l’OIP Bernard Bolze.
Résumé des interventions
L’instauration progressive d’une prison pénitentiaire calquée sur le modèle de la métropole, dans l’Algérie coloniale des années 1930, tout en se substituant à d’anciennes formes de châtiment, aboutit à une distinction racialisée entre « sujets coloniaux » et métropolitains. La prison fournit aussi une main d’œuvre nécessaire aux travaux agricoles ou forestiers (Nadia Biskri – CHS-Paris 1).
La mise en place à partir de 1936, sous le Front populaire, au moment où la communauté internationale légiférait sur le travail forcé, de camps pénaux mobiles au Sénégal, a permis le désengorgement des prisons et la rationalisation de l’usage de la main d’œuvre pénale, les camps longeant les axes routiers en construction. Face à des conditions de vie très pénibles – nombreux et graves accidents du travail, sévices des gardiens, maladies – les détenus ont soit tenté de s’échapper - au sens large du terme : évasions, simulations et automutilations – soit formulé des réclamations aux autorités favorisant l’émergence de normes supplémentaires. (Romain Tiquet – FNS-Genève)
La recherche de Meoïn Hagège (EHESS-INED) tente de restituer les parcours de santé de personnes atteintes par le VIH ou l’hépatite C, depuis leur incarcération jusqu’aux suivis parfois difficiles dans les institutions chargées de la post-incarcération. Elle a notamment étudié et modélisé les discours des personnes parties-prenantes de la prise en charge médicale dans le milieu carcéral. Elle répartit ces discours selon deux axes : prison pathogène / prison soignante et prenant en charge / pris en charge.
Camille Lancelevée (IRIS-Centre Marc Bloch) se situe dans le champ de la santé mentale en milieu carcéral de « prison hospitalière » . Partant de la question du sens commun « Ces gens ont-ils leur place en prison ? », elle découvre et analyse différents phénomènes : la pathologisation des délits, l’incarcération des malades mentaux, et l’accueil de pathologies pour lesquelles la collectivité ne propose aucun autre dispositif de prise en charge.
Les travaux de Marine Quénnehen (EHESS-CESPRA-INED) se penchent sur ce que veut dire être père en prison à travers une enquête menée auprès de 30 détenus. Dans quelles conditions la paternité est-elle advenue ? Quels rôles peut-on tenir en tant que père une fois incarcéré ? Quels environnements et quelles actions favorisent ou font obstacle à la paternité en prison ? Telles sont certaines des questions auxquelles cette enquête apporte des éléments de réponse.
Corentin Durand (CMH-LIER/EHESS) a voulu à travers ses travaux, comprendre les transformations de la prison à partir des doléances des détenus. De la demande ponctuelle aux gardiens à la procédure judiciaire, en passant par la requête adressée à la direction, les doléances suivent souvent trois formats, certaines insistant sur la souffrance individuelle, d’autres se revendiquant du rapport de force entre prisonniers et administrations, et d’autres encore s’appuyant sur la Loi. La formalisation est à la fois une aide à la constitution du champ des doléances et un frein, ou plus exactement un cadrage des plaintes. Un réseau de plus en plus dense de dépositaires de ces doléances – associations, autorités – se développe depuis le début des années 2000.
Joséphine Bastard (CRIS-Université de Liège) évoque le rôle ambigu des directeurs de prison en Belgique, dans les procédures qui découlent depuis 2006 de l’instauration des Tribunaux de l’Application des Peines (TAP). Ils sont en effet chargés à la fois de la punition et de la réinsertion des détenus, dans le cadre d’un triptyque administratif et judiciaire : mobilisation et information des services psycho-sociaux, élaboration et évaluation des dossiers d’aménagement des peines, représentation exclusive de l’administration pénitentiaire à l’audience.
Il est très difficile pour les détenus d’appréhender ce qui leur arrive, d’en donner un discours construit. Parmi les ressources symboliques mobilisables, beaucoup choisissent la religion. « En France comme ailleurs », explique Thibault Ducloux (CMH/EHESS), « les populations détenues revendiquent des appartenances et des comportements religieux dans des proportions sans commune mesure avec le reste de la population. » Ses travaux montrent pourquoi et comment ce discours religieux peut en venir à jouer un rôle structurant.
Ouisa Kies (CADIS/EHESS) décrit une recherche-action menée entre janvier 2015 et mars 2016 à l’initiative du ministère de la Justice. Son thème est celui des radicalisations religieuses islamistes, qu’elle aborde avec une méthode qualitative fondée sur des entretiens semi-directifs, auprès de différents types de détenus, dont des « droits communs » en cours de radicalisation. Son travail vise à faciliter la détection des radicalisations et à mettre en place un dispositif d’aide à l’attention des radicalisés.
Pour finir, Bernard Bolze, fondateur de l’Observatoire International des Prisons, a présenté son projet de plate-forme web « Prison Insider », traduite en anglais, espagnol et français, qui produira un rapport annuel des conditions de détention dans chaque pays du monde. Disponible sur abonnement, cette plateforme regroupera des guides internationaux pour les proches des détenus (rubrique « En cas d’arrestation »), et proposera notamment des espaces médiathèques, des espaces de discussion et un outil de comparaison des conditions de détention.