Routes, institutions et territoire à l’époque moderne

Il y a plusieurs années déjà, Richard Gascon nous mettait en garde contre une lecture trompeuse du réseau routier dans le territoire français d’Ancien Régime. Là où notre sens commun nous fait imaginer de « longs rubans déroulés à travers nos pays, solides sur leurs assises, fixes et précis dans leur tracé »,les sources nous renvoient une tout autre image, celle d’itinéraires, ressemblant plutôt à des pistes : « De grandes lignes se dessinaient appuyées sur des points fixes : ponts, gués, passages obligatoires des péages ou législation douanière, lieux de transbordement entre voies de terres et voies d’eau ».Le texte de Gascon faisait référence à la France du XVIe siècle ; et pourtant, beaucoup de travaux récents nous ont montré que, en dépit des efforts de l’administration centrale pour créer, organiser et contrôler les routes, la situation n’était pas très différente pour une grande partie du XVIIIe siècle de celle décrite dans Grand commerce et vie urbaine.

Ponts, gués, passages obligatoires, péages, chacun de ces points (et bien d’autres encore, les hôtels et auberges par exemple) dessinent une pluralité de juridictions dont le territoire était disséminé ; des lieux sur lesquels des droits étaient exercés par des sujets sociaux et politiques très souvent en compétition entre eux. La route, dans la matérialité de son tracé, était ainsi le lieu de rencontre et de confrontation d’une grande variété d’acteurs politiques ; en conséquence, son étude implique la prise en compte des enjeux locaux et supra locaux liés à la gestion du territoire. Au travers de cette perspective, c’est un nouvel aperçu qui s’ouvre sur des activités telles que les voyages, le commerce, le bannissement et plus généralement les déplacements des individus et des choses : dans un territoire aussi fragmenté du point de vue juridictionnel, ces mouvements mettaient directement en jeu non seulement des ressources économiques et culturelles mais aussi des configurations institutionnelles. L’étude des routes à l’époque moderne demande donc des lectures ethnographiques précisément situées qui soient attentives à la complexité de ces enjeux et aux interprétations qu’en donnaient les acteurs sociaux, et qui ancrent en retour « la route » dans les contextes particuliers de sa mise en œuvre institutionnelle.

Informations pratiques

Date(s)
  • Vendredi 13 mai 2016 - 09:30 - 17:30
Lieu(x)
  • EHESS (salle A du Conseil) - 190-198, avenue de France 75013 Paris
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