Trois projets de recherche portés par l'EHESS retenus par l'appel Flash Covid-19 de l'ANR

Dans le cadre de l’appel Flash Covid-19 visant à mobiliser les communautés scientifiques en lien avec le développement de l’épidémie, l'Agence nationale de la recherche scientifique (ANR) a retenu trois projets de recherche portés par des chercheurs et chercheuses de l'EHESS :

Découvrez ci-dessous les résumés des projets financés par l'ANR.

 

Projet Ciesco : La confiance dans les institutions étatiques et scientifiques à l’épreuve du coronavirus

Coordination : Alexis Spire (Iris-UMR 8156)

Comment trouver les mots et les arguments adéquats pour convaincre la population d’adopter des comportements qui sont salutaires, non pas à titre individuel mais au nom de l’intérêt général ?

Le projet Ciesco vise à comprendre les conditions de réception et d’acceptation des discours des représentants de l’État et des scientifiques, à l’occasion de la crise du coronavirus. Les consignes pour endiguer l’épidémie nécessitent que l’ensemble de la population se les réapproprie et accepte de les mettre en oeuvre. Certains y adhèrent, les appliquent mais d’autres se montrent plus sceptiques et les transgressions peuvent être nombreuses. À partir de matériaux quantitatifs et qualitatifs, trois axes de réflexion sont privilégiés. Un premier axe de ce projet consiste à explorer le lien entre les caractéristiques sociales des personnes et leur capacité à réagir différemment aux injonctions des scientifiques et aux messages envoyés par l’État. Une deuxième série de questions porte sur le processus au terme duquel les messages de santé publique finissent par être acceptés ou ignorés. Enfin, nous étudierons les effets de la survenue d’une « crise sanitaire » dans un contexte de « crise de l’hôpital public ».

Pour saisir la dynamique temporelle des rapports que les individus entretiennent avec les messages de prévention, nous allons mobiliser plusieurs enquêtes réalisées à différents moments de l’épidémie. Un premier questionnaire sera administré début avril par le biais du dispositif « Constances », pour connaître les pratiques préventives et la vie quotidienne en période de confinement. L’enjeu est de pouvoir mesurer l’évolution dans le temps des pratiques et des perceptions des mesures prises par les pouvoirs publics. Un deuxième questionnaire statistique sera mobilisé et passé au mois de juin 2020, après que le pic de l’épidémie aura eu lieu. L’enquête qualitative sera déployée sur plusieurs volets. L’un est consacré aux institutions hospitalières et aux personnels soignants. Au niveau de chaque structure, ces « gardiens du risque » doivent au jour le jour arbitrer entre les instructions transmises par les autorités et les contraintes pratiques auxquelles ils sont confrontés. Le deuxième volet consiste en une approche localisée de la réception de l’épidémie, par le biais de deux enquêtes ethnographiques dans deux villes qui ont été très différemment touchées par le virus : nous envisageons de comparer le cas de Mulhouse qui a été identifiée comme l’un des premiers grands foyers de l’épidémie, avec une ville plus petite, Châteauroux, dans un département ayant été moins touché par le coronavirus. L’enquête qualitative visera également à explorer la relation que les communautés religieuses et les fidèles entretiennent avec l’État et l’autorité médicale. On s’intéressera à la manière dont les fidèles et les communautés ont perçu le risque de transmission du virus, et les messages du gouvernement, en particulier quand ceux-ci viennent heurter les pratiques, croyances ou valeurs de la religion. L’investigation portera sur la communauté catholique et sur l’islam ; dans les deux cas, il s’agira de se demander dans quelle mesure les pratiques d’hygiène, les gestes de solidarité ou les formes de sociabilité ont été modifiées par cette période singulière.

 

Projet RegWet : Regulating Wetmarkets in Central China : Ethnographic Study of the Perception of Zoonotic Risks after the Covid-19 Crisis

Coordination : Frédéric Keck (LAS-UMR7130)

Notre consortium d'anthropologues sociaux français et chinois étudiera l'impact de la crise du Covid-19 sur la régulation des marchés aux animaux (wetmarkets) en Chine centrale. Sur la base de notre expertise en anthropologie des relations hommes-animaux dans diverses sociétés et en ethnographie de la reconstruction de la vie quotidienne et des habitats perturbés après une catastrophe dans le centre de la Chine, nous évaluerons comment les autorités chinoises vont réguler l'économie des marchés aux animaux et comment les vendeurs et les consommateurs réagiront à ces mesures dans la région de Wuhan, qui a été le lieu d'émergence de ce nouveau coronavirus transmis des chauves-souris aux animaux vendus pour la consommation humaine. Nous documenterons les espèces animales vendues sur ces marchés humides, les usages de leurs parties du corps et les valeurs économiques et symboliques attachées à ces animaux et à ces parties du corps dans la médecine traditionnelle chinoise. Notre objectif est de comprendre comment le Covid-19 a changé la perception des risques zoonotiques dans les zones urbaines où les consommateurs peuvent acheter des animaux sauvages, en prenant des mesures dans les marchés aux animaux du sud de la Chine après le Sras et des mesures sur les marchés de la viande de brousse en Afrique centrale après Ebola comme points de comparaison, ainsi que les marchés d'animaux sauvages en Amérique du Sud ou les « marchés bio » en Europe. Dans le contexte de l'augmentation des risques zoonotiques causés par l'évolution des relations entre les habitats urbains et les animaux sauvages, en raison des changements écologiques mondiaux mais aussi d'une demande économique des consommateurs urbains, cette enquête permettra de tirer des enseignements non seulement pour les autorités chinoises de la santé et de l'agriculture, mais aussi pour les autorités nationales et locales qui doivent gérer l'émergence de nouvelles maladies infectieuses à partir de réservoirs animaux.

 

Projet Sapris : Santé, pratiques, relations et inégalités sociales en population générale pendant la crise Covid-19 

Coordination : Nathalie Bajos (Iris-UMR 8156)

Le projet Sapris vise à conduire une vaste enquête répétée en population générale permettant d’appréhender les principaux enjeux épidémiologiques et sociaux de l’épidémie de Sars-CoV2 et les mesures prises pour la combattre. Seront notamment étudiés la compréhension et le respect des mesures de prévention, la perception du risque pour soi-même et en général, l’incidence des symptômes du Covid-19 et d’autres problèmes de santé dont la santé mentale, le recours ou le renoncement aux soins, les effets sur la vie quotidienne, les relations sociales et le travail, ainsi que la prise en charge des enfants. L’analyse des inégalités sociales sera l’axe transversal majeur. Un questionnaire de trente minutes sera posé par internet dans quatre grandes cohortes épidémiologiques totalisant plus de 200 000 sujets : CONSTANCES, ELFE-EPIPAGE, NUTRINET et E3N-E4N. Cette méthodologie offre l’opportunité de travailler sur de grands échantillons, pour lesquels de nombreuses données sociales et médicales avaient été recueillies avant le début de l’épidémie, permettant ainsi de mesurer prospectivement son impact sur la santé, les relations sociales et la situation professionnelle.

En outre, ces bases de données ont été établies selon des protocoles rigoureux qui permettent d’obtenir des estimateurs représentatifs des indicateurs étudiés. La phase 1 de l’enquête sera réalisée début avril et l’enquête sera répétée régulièrement pour suivre les évolutions de l’état de santé, des pratiques sociales et de la confiance dans les actions publiques et scientifiques de lutte contre l’épidémie. Le projet est porté par une équipe pluridisciplinaire associant des chercheurs de l’Inserm, de l’Ined, du CNRS et des universités, en épidémiologie, sociologie, démographie et économie. Il est coordonné par Nathalie Bajos, sociologue-démographe, spécialiste des enquêtes de santé publique en population générale et des inégalités sociales de santé et Fabrice Carrat, épidémiologiste, spécialiste des maladies infectieuses. Il bénéficie du soutien de l'IT Santé publique de l’Inserm. Des contacts ont été pris avec des équipes européennes et aux États-Unis en vue de mener des comparaisons internationales. Ce projet a été soumis au Comité d’évaluation éthique et de l’Inserm et la collecte et l’analyse des données respecteront les règles RGPD qui s’appliquent à chacune des cohortes. Outre la production de données scientifiques inédites au regard des caractéristiques médicales, sociales et politiques de l’épidémie et son traitement, les premiers résultats seront portés au plus vite à la connaissance des acteurs de santé publique et des pouvoirs publics pour améliorer les politiques de prévention, réduire les inégalités sociales et tenir compte éventuellement de nouveaux enjeux soulevés par les premières analyses.

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