Georges Vigarello
Directeur d'études de l'EHESS
Le corps a longtemps été oublié par les historiens. Les sciences sociales pourtant en ont révélé l’importance et la profondeur. Son originalité est d’être à la croisée de l’enveloppe individuelle et de l’expérience collective. Ses objets s’étendent des investissements les plus sensibles et immédiats aux représentations les plus organisées et « travaillées ». Encore faut-il montrer combien ces « objets » très précis du corps peuvent révéler, dans leurs trajets historiques, des changements majeurs de culture sinon de société. L’ensemble des textes qui suivent (correspondant, pour l’essentiel, à mes recherches et livres publiés, ainsi qu’à deux projets nouveaux) contribuent à une histoire du corps entendue ici dans le sens d’une anthropologie historique. Trois préoccupations dominantes les traversent :
- Une attention aux déplacements des seuils de sensibilité dans l’histoire : ceux permettant de qualifier les normes de l’attitude physique (Le corps redressé ), ceux permettant de qualifier les normes du dégoût physique (Le propre et le sale ), ou de qualifier celles du mieux être et du mal être physiques (Le sain et le malsain ), ou de qualifier encore celles de la violence (Histoire du viol ), ou de qualifier encore ceux de l’excitation et de l’investissement dans une pratique physique (Passion sport, histoire d’une culture).
- Une attention aux déplacements des représentations du corps : celles désignant les apparences physiques (histoire de la beauté), celles désignant les intériorités organiques (histoire des sens internes), l’imaginaire des surfaces comme l’imaginaire des fonctionnements corporels. Une des hypothèse étant ici que les recherches aujourd’hui classiques sur l’ « image du corps » peuvent être exploitées en histoire.
- Une attention aux déplacements des économies et des techniques entourant le corps : dispositifs relationnels, sociabilité des apparences et des tenues, aménagement des lieux, aménagement des flux, influences « extérieures » les plus diverses, réelles ou supposées.