Portrait des post-doctorantes et post-doctorants 2020 de l'EHESS

Au terme de sa campagne de recrutement annuelle, l'EHESS a sélectionné dix projets de post-doctorat, répartis en dix mentions portées par dix unités d'affectation, pour l'année 2020-2021.

Découvrez les portraits et sujets de recherche de nos post-doctorantes et post-doctorantes.

 

Mélanie Henry – Mention « Émotions et sciences sociales » :

« Émotions, insurrections et savoirs de la psyché en Algérie : mettre en histoire le trauma de la “décennie noire” »

Depuis mon doctorat, je m’intéresse à l’expérience insurrectionnelle : les émotions qu’elle suscite, les traces qu’elle laisse et les modes de médiation de ce vécu. Dans ma thèse, intitulée « Le “trésor” révolutionnaire : insurrections et militantismes à Alexandrie, en 1946 et en 1977 (Égypte) », soutenue en 2018 à l’Université d’Aix-Marseille, j’ai travaillé à partir de sources produites sur et/ou par des militants communistes, sur les télescopages des temps qui se jouaient dans la mise en regard entre les insurrections passées et le soulèvement de 2011. J’ai cherché à les observer en décrivant les différents modes de relation au passé (histoire, art, émotion, usage politique, mémoire fluide, régimes d’historicité, etc.). J’ai poursuivi ce travail sur les médiations de l’expérience insurrectionnelle au sein de l’ERC-DREAM, dirigé par Leyla Dakhli, tout en amorçant un déplacement vers l’Algérie contemporaine.

Pendant l’année au sein de l’EHESS et de l’IIAC, j’étudierai comment et dans quelle mesure les savoirs de la psyché se sont imposés dans la caractérisation des émotions politiques en Algérie depuis la fin du XXe siècle. Je propose de mettre en histoire un « tournant psychologique » dans les rapports au politique et à la mémoire, survenu au cours des années 1990, en relevant les continuités avec les usages politiques des savoirs de la psyché depuis la période coloniale. Je me concentrerai donc sur l’articulation entre réactions au phénomène insurrectionnel et diffusion des savoirs de la psyché dans la société algérienne.

Mes recherches se logent au croisement entre histoire et anthropologie. Je mobilise volontiers la littérature et les études littéraires dans mes réflexions, auxquelles j’ajoute la psychologie à présent. L’EHESS constitue un cadre particulièrement propice pour explorer librement ces croisements.

 

Sophie Zonneveld Lambroschini – « Mention Conduites politiques et économiques après le socialisme » :

« Les confins entrelacés russo-ukrainiens à l'épreuve des transformations postsoviétiques »

Adeline Martinez – Mention « Environnement et Asie » :

« Constructions sociales et modes d’existence de l’environnement volcanique. Ethnographie des réseaux de veille et de surveillance sur le volcan Merapi (Java, Indonésie) »

Après une licence de sociologie à l’université de Poitiers, je me suis spécialisée sur les questions de déplacement dits « forcés » de population en intégrant le master d'anthropologie à l'université d'Aix-Marseille. Dans le cadre de ma thèse, j’ai pris pour objet d'étude le cas de réinstallation post-catastrophe d'un village montagnard du volcan Merapi en Indonésie. À travers la description et l’analyse sur le long terme de la reconstruction du village, j'ai pu mettre en évidence la permanence de modes de territorialité spécifiques en lien avec le volcan, modes de territorialité qui s’inscrivent à la fois dans une histoire écologique longue et dans les relations avec le pouvoir central.

Dans la continuité de mes recherches doctorales qui se sont essentiellement concentrées sur le point de vue interne des populations du volcan, l’enjeu du projet, dans le cadre du post-doctorat « Environnement en Asie » à l'EHESS, est à présent d’ethnographier les espaces et les temps de la production, de la circulation des savoirs en lien avec l’environnement volcanique au sein de différents groupes sociaux : les agences gouvernementales, les réseaux associatifs et citoyens, les ONG et les réseaux rituels traditionnels. L’objectif est de décrire la manière dont ces réseaux – locaux, nationaux et internationaux – construisent une ontologie particulière de la « nature » volcanique, participent à la définition des processus de « mise en risque » des aléas, et plus généralement influencent les modes de gouvernance de l’environnement et des risques « naturels » en Indonésie.

 

Nurul Huda Mohd Razif – Mention « Intimité et migrations » :

« Intimacy on the Move: Cross-Border Marriage & Migration at the Malaysian-Thai Frontier »

Dans mon travail d’anthropologue en Asie du Sud-Est (principalement en Malaisie), je m'intéresse à la façon dont l'amour se situe à l'intersection du droit, de la religion, de la société et de la culture, en créant des moyens alternatifs de légitimation de l'intimité telles que les fugues et la polygamie. Cette question est étudiée plus en détail dans ma prochaine monographie basée sur ma thèse de doctorat, intitulée Halal Intimacy: Love, Marriage, and Polygyny in Contemporary Malaysia (Berghahn Books).

Je lis l'anthropologie et le français dans le premier cycle universitaire de l'Université d'Australie-Occidentale, avec un semestre d'échange à Sciences Po Paris. Depuis l'obtention de mon doctorat en anthropologie sociale à l'Université de Cambridge en 2018, j'ai entamé une carrière postdoctorale multidisciplinaire en anthropologie, en études de l'Asie du Sud-Est et en droit islamique. J'ai commencé comme chercheure affiliée à l'Institut royal néerlandais d'études sur l'Asie du Sud-Est et les Caraïbes (KITLV), puis comme chercheure associée à l’Institut international d'études asiatiques (IIAS, 2018-2019) et enfin comme la première chercheure invitée à rejoindre le nouveau partenariat de recherche entre l'IIAS avec le Collège d'Études Mondiales - Fondation Maison des Sciences de l'Homme (CEM-FMSH) à Paris. Après avoir été nommée conjointement Evans Fellow en études de l'Asie du Sud-Est au département d'anthropologie sociale de l'Université de Cambridge et chercheure invité (2019-2020) dans le cadre du Programme sur le droit et la société dans le monde musulman à la Faculté de droit de Harvard, je suis ravie de revenir à Paris pour collaborer avec des collègues du Centre Asie du Sud-Est sur le thème « Intimité et migrations ».

Mon projet à l’EHESS, intitulé « Intimité en mouvement : mariage transfrontalier et migration à la frontière entre la Malaisie et la Thaïlande », examinera la manière dont la recherche d'un emploi par les femmes thaïlandaises musulmanes en Malaisie est liée à un désir d'intimité, faisant de la migration un moyen de poursuivre à la fois le « destin romantique » (jodoh) et la fortune (rezeki). Ce projet explorera comment les mariages transfrontaliers entre Malaisiens et Thaïlandaises sont façonnés par les schémas migratoires locaux, les développements historiques et politiques dans la région, et plus largement par une augmentation des mariages transnationaux à travers l'Asie et la polygamie en Malaisie. Cela peut révéler les dynamiques internationales et intimes qui reflètent les intérêts ethnographiques et théoriques de ce projet postdoctoral. La communauté florissante de chercheurs et d'anthropologues d'Asie du Sud-Est à l’EHESS en fait un lieu approprié pour mes recherches et je me réjouis de cette année passionnante de partage et d'apprentissage avec la communauté de l’EHESS.

 

Samuel Zarka – Mention « Relations professionnelles, conflits sociaux et négociations collectives » :

« La bureaucratie des légendes. Convention collective de branche et logique de projet dans les industries ciné-audiovisuelles »

Issu d’un master GRH et sociologie du Conservatoire national des Arts et métiers, j’ai ensuite réalisé une thèse de sociologie du travail, au Lise (Cnam-CNRS) sous la direction de Fabienne Berton et Marie-Christine Bureau.

Cette thèse s’intitule : « L’équipe de cinéma. Genèse et portée de la qualification du travail dans la production cinématographique en France. 1895 – 2018 ». Cette thèse interroge la construction des qualifications professionnelles (réalisateur, chef opérateur, chef décorateur, etc.) dans les équipes de production de films en France sur une longue période. À travers une approche sociohistorique, elle entend montrer que la qualification se manifeste comme enjeu revendicatif récurent, tout en se constituant en assise d’une revendication plus large sur l’avenir de l’industrie. Cette recherche, soutenue en décembre 2019, a bénéficié du soutien de la Cinémathèque Française

Mon projet de post-doctorat s’inscrit dans sa continuation. Il s’intitule « La bureaucratie des légendes. Convention collective de branche et logique de projet dans les industries ciné-audiovisuelles ». Il entend proposer un regard croisé sur la dynamique des relations professionnelles sectorielles et la dynamique esthétique des produits, dont la série audiovisuelle Le Bureau des légendes constitue une expression caractéristique. À partir d’un ancrage dans la sociologie des relations professionnelles, notre questionnement engage donc une mise en dialogue de plusieurs champs investigués par les équipes de l'EHESS, comme l’histoire économique, la sociologie du travail et la sociologie de l’art.

 

Lise Foisneau – Mention « Responsabilités passées, responsabilités futures, anticipation, procès » :

« Les sciences sociales face au génocide des Tsiganes : silences, lacunes et responsabilités »

La mémoire du génocide des Tsiganes n’a pas fait l’objet en France de recherches comparables à celles qui ont été consacrées à la mémoire de la Shoah. La question des responsabilités n’a pas davantage été posée. Pourtant, la privation de liberté qu’ont subie les membres des collectifs romani et voyageurs pendant la Seconde Guerre mondiale ne fut pas seulement une souffrance considérable, elle fut aussi la cause d’un appauvrissement majeur. L’un des objectifs de ce projet postdoctoral est de décrire les conséquences des politiques anti-nomades conduites en France entre 1939 et 1946 sur le monde du voyage de la seconde moitié du XXe siècle. Parmi les occupants actuels des aires d’accueil des gens du voyage, ceux qui sont nés avant 1950 perçoivent clairement une continuité dans les politiques publiques qu’ils ont connues depuis leur enfance. Nous nous demanderons pourquoi les sciences sociales sont restées aveugles à ce qui apparaît aux acteurs comme une évidence, celle d’une permanence de la persécution des « Nomades ». Alors que les collectifs romani et voyageurs français ont fait l’objet de multiples études ethnographiques, rares sont celles qui ont pris en compte les persécutions de la période de la guerre. Ce projet a ainsi pour ambition de mettre en perspective historique les observations ethnographiques d’un passé récent afin de comprendre les formes contemporaines de la mémoire de la guerre, du génocide et des résistances, et de tenter d’expliquer le silence des sciences sociales.

Après avoir soutenu une thèse en anthropologie à l’Université Aix-Marseille (IDEMEC) en décembre 2018, récompensée le 28 septembre 2020 du prix du CTHS, j’ai d’abord été post-doctorante de la Central European University à Budapest au sein du Romani Studies Program, puis j’ai été fellow du United States Holocaust Memorial Museum à Washington DC. Pour ce post-doctorat de l’EHESS (2020-2021), je poursuis mes recherches au Lier-FYT.

 

Morane Chavanon – Mention « Ruralité et sciences sociales » :

« Nouvelles migrations en milieu rural et spécificités de l’accueil des étranger·es »

En 2019, j’ai soutenu une thèse de sociologie politique à l’université Lyon-II portant sur la construction d’une demande sociale de mémoire rapportée à l’immigration dès la fin des années 1990. À partir d’une démarche ethnographique menée dans deux villes de la région Auvergne-Rhône-Alpes – Villeurbanne et Saint-Étienne –, il s’agissait de s’attacher aux politiques publiques et aux actions citoyennes participant de la construction d’un « besoin de mémoire » lié au passé migratoire. Les politiques mémorielles locales sont fortement imbriquées avec les controverses nationales autour des enjeux de la présence immigrée.

À l’issue de mon parcours doctoral, j’ai souhaité continuer à travailler sur l’immigration en nourrissant le projet de l’appréhender sous l’angle de la ruralité. Dans la plupart des travaux scientifiques, la thématique migratoire est marquée par un fort implicite urbain. Or, l’histoire des territoires ruraux est également marquée par le fait migratoire et les campagnes contemporaines sont elles aussi prises dans l’actualité des migrations internationales.

Grâce au post-doctorat proposé par l’EHESS sur la thématique « Ruralité et sciences sociales », je vais pouvoir mener une enquête sur les migrations contemporaines et les spécificités de l’accueil en ruralité à partir d’un cas d’étude local : le département de l’Ardèche. Il s’agira de documenter les migrations internationales qui travaillent les territoires ruraux contemporains, de mener une démarche ethnographique auprès des acteurs locaux – institutionnels et citoyens – investis dans l’accueil des étranger·es, mais aussi d’analyser ce que la ruralité fait aux parcours migratoires à partir de la réalisation d’entretiens auprès de migrant·es.

 

Noémie Fargier – Mention « Techniques matérielles et intellectuelles de constitution des sciences et des savoirs » :       

« Mappemondes sonores au XXIe siècle. Vers la constitution d'une archive sonore de la planète ? »

Depuis le début de mon doctorat sur l’expérience sonore dans le spectacle vivant contemporain, sous la direction de Marie-Madeleine Mervant-Roux (Paris 3 – CNRS) et de Peter Szendy (Brown University), mon parcours de recherche s’inscrit dans le champ interdisciplinaire des sound studies. Dans la continuité de la recherche postdoctorale que j’ai mené de janvier à août 2020 à l’Institute of Advanced Studies in Humanities de l’Université d’Édimbourg, portant sur l’histoire intermédiale du field recording des années 1970 à nos jours, mon projet « Mappemondes sonores au XXIe siècle » porte sur l’un des dispositifs issus de cette pratique, les cartes sonores en ligne.

En tant que centre de recherche pluridisciplinaire en sciences sociales, l’EHESS m’apparaît comme le lieu idéal pour mener à bien cette recherche, qui se situe à la croisée de l’histoire des techniques, de la géographie, de l’esthétique, de l’épistémologie, de l’anthropologie et de la sociologie des médias. Si les mappemondes sonores en ligne suscitent mon intérêt, c’est parce qu’elles posent un défi sur l’articulation entre local et global.

À travers une étude épistémologique, j’interrogerai leur conception, leurs usages et leurs enjeux. Je questionnerai les problématiques liées à la sélection et à l’archivage des sons de la planète, ainsi que la potentielle réalisation d’une archive globale. Je proposerai enfin une réflexion sur la possibilité d’une autre cartographie sonore du monde et sur les perspectives selon lesquelles elle pourrait s’inventer.

Mathilde Provansal – Mention « Violences sexuelles, violences de genre » :        

« Violences de genre dans les écoles d’art : entre reproduction et dénonciation »

Pendant mes études de sociologie à l’École normale supérieure de Lyon, j’ai fait un séjour à Northwestern University (Chicago) au cours duquel j’ai assisté à un séminaire dédié aux théories féministes dans l’histoire de l’art. Celui-ci portait notamment sur l’invisibilisation des artistes femmes dans l’histoire de l’art et leur sous-représentation dans les institutions et le marché de l’art contemporain. Pourtant, les femmes sont actuellement majoritaires dans les formations artistiques et représentent presque la moitié des artistes plasticien·nes en France.

Ma thèse, réalisée à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne sous la direction de Marie Buscatto, est née de l’envie de comprendre ce paradoxe à partir d’une approche sociologique. Intitulée « Artistes mais femmes. Formation, carrière et réputation dans l’art contemporain », elle analyse la fabrique des inégalités de genre au sein d’une école d’art française très prestigieuse et ses effets sur l’entrée, le maintien et l’accès à la réputation de ses diplômé·es dans l’art contemporain.

La thèse montre que l’école est un premier moment de la fabrique des inégalités de genre dans l’art contemporain. N’ayant pas eu le temps d’approfondir la question des violences de genre dans la formation artistique, j’ai candidaté à un post-doctorat de l’EHESS sur la thématique des « violences sexuelles, violences de genre ». L’objet de ma recherche postdoctorale est d’interroger le rôle des violences de genre dans les écoles d’art dans la reproduction de l’ordre de genre et de la domination masculine dans l’art contemporain. Cette recherche vise à mettre en évidence les contextes, les structures et les relations de pouvoir qui favorisent l’émergence des violences de genre dans les écoles d’art mais aussi ce qui permet leur maintien ou à l’inverse leur dénonciation. L’enquête articulera des méthodes d’analyse quantitatives et qualitatives.

 

Ahmad Moradi – Mention « Vulnérabilités et mobilisations » :

« War as a Possibility of Inclusion: Afghan Disabled Ex-Combatants in Iran »

J’ai obtenu mon doctorat en anthropologie sociale à l’université de Manchester en 2019. Mes centres d’intérêts en termes de recherche se concentrent sur les questions liées aux politiques révolutionnaires et au militantisme islamique en Iran et, plus largement, dans la région Moan (Moyen-Orient et Afrique du Nord). Ma thèse explore les politiques révolutionnaires de l’Iran et les interventions étatiques dans les quartiers urbains défavorisés, en se focalisant sur l’organisation paramilitaire du Basij. Dans cette étude, j’appréhende la persuasion comme pratique militante de gouvernance, imbriquée avec des socialités locales, des mesures sécuritaires, ainsi que des histoires plurielles de violence. Durant mon cursus à l’EHESS, j’envisage de développer un nouveau projet, dont la thématique majeure se rapporte à la lutte des combattants étrangers chiites et de leurs familles pour obtenir la reconnaissance officielle de l’État iranien et la sécurité sociale en Iran, après leur retour du combat dans des conflits régionaux. En m’appuyant sur des travaux de terrain avec des militants afghans conduits en 2015-2016 et à l’été 2019, je compte durant ma recherche traiter de la question centrale suivante : comment le risque mortel lié au militantisme peut-il aboutir à des perspectives et des opportunités existentielles et de nouveaux modes et formes d’engagement politique sur le terrain, et ce de la part de non-citoyens ? 
Dans le cadre d’une initiative visant à partager mes travaux académiques avec un public plus large, je me suis impliqué dans la pratique de l’ethnographie créative ; cela s’est matérialisé par la publication d’une monographie artistique, ayant pour sujet les franchissements illégaux de frontières, ainsi que par plusieurs expositions à Téhéran, Budapest et Amsterdam. Je suis actuellement en train de travailler sur une seconde monographie artistique, financée par l’Iran Heritage Foundation, et qui traite des designs architecturaux d’une cité ouvrière dans le sud de l’Iran. Cette position postdoctorale à l’EHESS, avec ses laboratoires de recherches de renommée internationale, m’offre une opportunité optimale pour continuer à travailler sur mes sujets de recherche et m’aide à avoir une meilleure perspective globale et multidisciplinaire au sein d’une institution unique et florissante.