Gilles Havard et Denis Laborde, médaillés d'argent 2020 du CNRS
Mondes Américains, Centre d’Études Nord-Américaines - CENA, Laboratoire d'anthropologie des institutions et organisations sociales - LAIOS

Gilles Havard et Denis Laborde ont tous deux reçu les médailles d'argent 2020 du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), qui distingue des chercheurs et des chercheuses pour l'originalité, la qualité et l'importance de leurs travaux, reconnus sur le plan national et international. En même temps qu'eux, quatre autres chercheurs et chercheuses obtenaient une médaille de bronze, qui récompense quant à elles leurs premiers travaux et les encourage à poursuivre des recherches bien engagées et déjà fécondes. Découvrez leur parcours et leurs sujets de recherche.
Gilles Havard, historien, directeur de recherche du CNRS (Mondes Américains)
Après plusieurs années d’enseignement de l’histoire-géographie dans des collèges de Zone d’éducation prioritaire à Paris, Gilles Havard, agrégé d’histoire (concours préparé à Rennes-II) et docteur en histoire (Paris-VII), est recruté au CNRS en 2006.
Il rejoint alors le Centre d’études nord-américaines et le laboratoire Mondes Américains, à l’EHESS, où il obtient son HDR en 2013.
Ses travaux, qui adoptent une perspective anthropologique, portent sur les relations entre Européens et Indiens en Amérique du Nord (XVIe-XIXe siècles). Ils s’interrogent sur le rôle des contacts culturels dans la façon dont se construisent les sociétés coloniales et, parallèlement, dont s’actualisent les usages amérindiens. Dans ce cadre, G. Havard a voulu renouveler l’histoire de l’empire colonial français du Nouveau Monde en analysant le bricolage outre-Atlantique des pratiques juridiques et diplomatiques de la monarchie. Il s’est aussi efforcé de restituer les logiques culturelles indiennes dans leur singularité, en mobilisant les travaux ethnologiques comme grille de vraisemblance de ce qui a été consigné dans les archives coloniales.
Son livre Empire et métissages (2003) et son article « Le rire des jésuites » (Annales, 2007) témoignent de cette approche. L’autre axe, contigu, de sa recherche, porte sur le passé franco-indien de l’espace nord-américain, celui d’avant la « Conquête de l’Ouest ». À travers la figure élusive du coureur de bois, personnage situé à l’intersection du monde colonial européen et des mondes amérindiens, il a proposé une nouvelle généalogie de l’histoire nord-américaine : dans Histoire des coureurs de bois (Grand Prix des Rendez-vous de l’histoire de Blois 2016), il s’interroge, dans une veine comparative, sur la construction et les pratiques de ces sous-cultures mobiles et masculines qui s’incorporent dans les pays indiens sans les coloniser ; dans L’Amérique fantôme (2019), changeant d’échelle d’observation, il met en série une dizaine de parcours de vie de coureurs de bois francophones, qui s’offrent comme autant de cas limites, dans la perspective de la micro-histoire.
Denis Laborde, anthropologue, directeur d'études à l'EHESS
Après des études au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, Denis Laborde enseigne en conservatoire et dirige à Radio France la création mondiale des Crystal Psalms d’Alvin Curran (New Albion Records). Il découvre l’anthropologie, prépare un doctorat de l’EHESS sur les improvisations poético-musicales du bertsulari basque (Nicole Belmont). Devenu rédacteur en chef de la revue Ethnologie française, il entre au CNRS (Laios). Nommé à Göttingen (MHFA – Max Planck Institut für Geschichte) puis à Berlin (Centre Marc Bloch), il organise un réseau international de recherche sur les Musiques du Monde. À son retour, il intègre le centre Georg Simmel et est élu à une direction d’études à l’EHESS. En 2017, il fonde à Bayonne l’Institut ARI (Basque Anthropological Research Institute on Music), devenu une équipe de l’UMR Passages (UMR 5319).
Denis Laborde fait de la musique un outil d’analyse des sociétés humaines. Il concentre son attention sur les situations, emprunte à l’anthropologie sociale ses appuis théoriques, nourrit un dialogue permanent avec l’Histoire, la philosophie et une sociologie d’inspiration pragmatiste. Dans le répertoire traditionnel basque comme dans les mondes du jazz, il s’intéresse à la façon dont un musicien ou une musicienne érige l’environnement en ressource d’action. Il démontre alors que, bien loin d’être un jeu de hasard, l’improvisation est un jeu d’adresse : on ne s’improvise pas improvisateur (La mémoire et l’instant ; Thelonious Monk, sculpteur de silence). Son intérêt pour l’analyse situationnelle le conduit à interroger des situations à conflit déclaré, en particulier les dénonciations de blasphème (Bach à Leipzig, vendredi saint de 1729 ; The unbearable sound: the strange career of musicoclashes, MIT Press ; « Écouter la musique, c’est un grave péché », Genève). La réflexion qu’il mène en Allemagne avec Patrice Veit sur les lieux de musique le conduit à travailler sur les figures du savoir et les institutions culturelles. Il coordonne plusieurs publications (Allemagne, l’interrogation, avec Alf Lüdtke ; Erinnerung und Gesellschaft, Maurice Halbwachs (1877-1945) avec Hermann Krapoth ; Désirs d’histoire avec Michael Werner ; Le Cas Royaumont, Paris). Puis il fonde à Bayonne l’Institut ARI au moment où cette ville devient une porte d’entrée pour des migrants : 12 000 personnes accueillies sur place en une année. Le besoin d’intelligibilité qui émane de la société civile l’incite à consacrer ses recherches à la façon dont la fabrication de musique accompagne celles et ceux qui se trouvent en situation de migration forcée tout au long de leur périple (Migrants Musiciens, Genève) : pourquoi de la musique en de telles circonstances ? et que produit donc cette fabrication de musique ? Avec l’Institut Convergences Migrations, puis avec Columbia University et le Center for World Music de Hildesheim, il structure des projets internationaux sur ce thème. Avec ses doctorants, il crée une forme originale d’écriture scientifique : le festival Haizebegi, les mondes de la musique : des concerts, des films, des ateliers, des colloques, des rencontres qui permettent à des musiciens et aux spectateurs les plus divers de partager cette libido sciendi qui anime ces chercheurs qui, comme lui, font de la musique un outil d’intelligence des sociétés humaines.