Note d'intention : « Sciences sociales en danger ? Pratiques et savoirs de l’émancipation »

Le colloque que nous projetons répond au besoin largement ressenti de retrouver une prise intellectuelle sur les conditions de nos pratiques de savoir, au vu des différentes pressions qui pèsent sur elles et des difficultés qui se sont accusées au cours de la dernière décennie, aussi bien dans le contexte des démocraties libérales où elles sont bien ancrées, que dans d’autres contextes où leur existence est plus fragile, et parfois menacée.
Ces contextes varient à coup sûr, et ne se laissent pas ranger en deux catégories étanches et antithétiques, comme si d’un côté les démocraties étaient des socles stables, tandis que les régimes qui s’en éloignent seraient tous susceptibles de la même caractérisation négative. Il reste que les situations, pour la pratique des sciences sociales, ne sont pas partout les mêmes et ne bénéficient pas partout de la même évidence. Il reste aussi que cette évidence, dans les contextes où elle semble acquise, joue souvent comme un écran et masque les difficultés éprouvées dans l’exercice de nos métiers. Ce sont ces difficultés, toutes liées à l’articulation de nos savoirs à leur vocation émancipatrice, c’est-à-dire à la contribution que la connaissance des phénomènes sociaux apporte à la vie commune et au débat public dans les sociétés où elle se produit, que nous voudrions, dans ce colloque, exposer sous toutes leurs facettes. Il s’agit de le faire avec sérénité, rigueur et probité. Ce qui implique de prendre en considération ce qui relève des dangers venus de l’extérieur et ce qui procède de dérèglements inhérents à l’évolution de nos pratiques.
C’est l’ensemble de ces problèmes que nous voulons en effet considérer et mettre à plat : soit qu’ils naissent des entraves et des manifestations d’hostilité à l’égard de ce que les sciences sociales font ou représentent, soit qu’ils émergent en leur propre sein, comme des blocages qu’elles fomentent elles-mêmes. A l’intersection de ces deux tendances se trouve la confusion qui affecte le lien entre savoir et politique qu’on peut considérer comme essentiel à nos métiers, aussi divers soient-ils dans leur accomplissement. Ce lien, où la scientificité ne se conçoit pas sans implication politique, mais où la politique est aussi redéfinie dans ce rapport même, la période critique que nous traversons incite à le ré-expliciter et à en dégager les modalités parfois contradictoires. Il est clair que nous devons le faire en embrassant la diversité des approches, des orientations, des méthodes et des disciplines. Nombreux sont les signes qui montrent que le problème ne se pose pas pour tous de la même manière, et que ce lien n’a pas pour tous la même consistance ni le même sens. Nos dissensions, cependant, sont significatives d’une préoccupation fondamentale qui nous est commune. Si l’on préfère souvent rejeter ces questions dans l’implicite, elles ne cessent pas d’animer et de sous-tendre nos pratiques savantes. La situation actuelle exige qu’on y revienne, en considérant les controverses les plus saillantes sur ces sujets, et en faisant varier les contextes où elles apparaissent.
La question circulante, sorte de fil conducteur du colloque permettant d’aborder sous différents angles ce même noeud problématique, nous a semblé pouvoir adopter cette formulation : « A quelles conditions les sciences sociales, telles que je les pratique, ont-elles l’effet émancipateur qu’elles devraient avoir ? »