Soutenance de thèse
L'autre moi numérique. Les objectivations des usagers en ligne et l'émergence d'une identité personnelle épisodique
De Serena Ciranna - Institut Jean Nicod - IJN
Résumé
La thèse ici défendue est que les objectivations des individus émergeant de l’usage des technologies numériques et de l’Internet, i.e. les traces numériques et les profils algorithmiques, constituent une source d’identité alternative à l’identité narrative. Ces objectivations font notamment émerger un rapport épisodique à soi-même. Galen Strawson (2004) définit d’ « épisodiques » les individus ne percevant pas de continuité entre leur moi passé et présent. Opposée à la vision épisodique, la perception diachronique du moi est à la base de la représentation narrative de soi-même en tant que personnage d’une histoire qui s’étend à toute la vie. Au lieu d’être seulement des variantes subjectives comme le suggère Strawson, les traits narratif ou épisodique pourraient aussi être expliqués par les modèles culturels et les médias utilisés. En effet, les théories de l’identité narrative, dont celle de Paul Ricoeur prise en compte dans ce travail, se basent largement sur une culture du texte imprimé. Quelle est donc la place de l’identité narrative dans le contexte d’une culture visuelle et de la communication sur Internet ? Si d’un côté le web a donné à des millions d’usagers l’opportunité de se mettre en scène, de l’autre côté une narration de soi dans un sens strict – par un récit linéaire, unitaire et diachronique – se forme difficilement sur les réseaux socionumériques, au profit de récits visuels et instantanés. Ainsi, le moi émergeant des multiples récits que les usagers créent en ligne n’est pas le héros d’une narration qui lierait de manière cohérente les évènements d’une vie dans le fil d’une histoire unitaire. De plus, les individus créent des nombreuses traces numériques qui entrent en compétition avec leur mémoire personnelle. Celle-ci agit à travers le filtre de l’oubli pour construire un moi cohérent en mobilisant certains souvenirs au lieu des autres. Au contraire, les traces qui réémergent du web peuvent être en conflit avec l’image de soi présente et donc rendre plus visible la discontinuité entre le moi actuel et passé. Ce processus d’aliénation de son propre passé et de sa propre identité narrative est accentué par le traitement des données personnelles donnant lieu à des « identités algorithmiques », avec lesquelles le sujet ne peut pas toujours se reconnaitre. Plutôt que par une distinction entre un moi réel et un moi virtuel qui apparaît désormais dépassée, l’autre numérique se distingue par cette possibilité de se tourner vers un mode de construction de l’identité qui échappe aux critères classiques du récit autobiographique, à savoir la continuité et la cohérence avec le passé, l’unité de l’histoire et le travail herméneutique du sujet.
Jury
- Mme Gloria Origgi (Directrice de thèse), EHESS
- Mme Stefana Broadbent, Politecnico di Milano
- Mme Barbara Carnevali, EHESS
- M. Alexandre Gefen, CNRS
- Mme Anne Le Goff, ISG -UCLA
Informations pratiques
- Vendredi 9 décembre 2022 - 16:30
- Les personnes qui souhaitent assister à la soutenance par visioconférence sont invitées à se rapprocher du candidat.