GED : rencontre avec Elisabeth Dutartre-Michaut

S’appuyant sur les expériences, notamment numériques, les plus innovantes, le Grand Équipement documentaire (GED) est conçu comme un laboratoire partagé pour la recherche en sciences humaines et sociales. Au sein de l’EHESS, Elisabeth Dutartre-Michaut, responsable de la bibliothèque du Centre de recherches politiques Raymond Aron (Cespra) et du fonds documentaire consacré à R. Aron, suit les avancées du projet.
Vous suivez le projet de GED depuis maintenant presque 10 ans. Quels sont les grands chantiers qui ont été menés ?
La réunion inaugurale du groupe de travail « Grand Equipement Documentaire » s’est tenue le 31 mars 2010, en présence de Jean-Claude Waquet, président d’alors de la Fondation Campus Condorcet, et d’Odile Grandet, première chef de projet GED. L’EHESS y était représentée par Judith Lyon-Caen et moi-même comme chargées de mission pour la politique documentaire et archivistique de l’EHESS. Ce GT-GED était destiné à nourrir et construire la réflexion autour d’un projet à l’ambition clairement affichée : une bibliothèque, cœur de Campus[1]. Nous avons donc toutes deux fait inlassablement le relais entre la Présidence de l’EHESS, le Conseil scientifique, les directeurs d’unités concernés par le GED en raison de la présence de fonds documentaires dans leurs laboratoires et les collègues bibliothécaires, documentalistes et archivistes.
Ce GT d’une trentaine de personnes des différents établissements fondateurs s’est réuni d’abord toutes les six semaines puis une fois par mois environ jusqu’en décembre 2017. Depuis cette date, un comité de projet plus restreint (11 personnes) qui se réunit toutes les trois semaines autour de Stéphanie Groudiev (successeur d’Odile Grandet) a été mis en place – je continue d’y représenter l’EHESS – tandis que des GT-GED « élargis » et trimestriels permettent à tous les professionnels de la documentation des établissements fondateurs de se retrouver pour des points d’information et de discussions.
Parmi les nombreux chantiers structurels qui ont nourri notre quotidien documentaire depuis 10 ans et auxquels les professionnels de la documentation et des archives de l’EHESS ont activement participé, on peut citer : la cartographie des collections ; la mise au point du cadre d’implantation des collections ; la mise en production du système d’information documentaire chantier (SID chantier) et d’ADRIA (Application dynamique pour le recensement et l’inventaire des archives) ; l’engagement de travaux de conversion rétrospective, de reprise de données et de catalogage dans le Sudoc et de traitement de fonds d’archives ; le recensement des ressources numériques ; la réflexion autour des services au public ; la labellisation de collections d’excellence, etc.
Quelles sont les spécificités du GED ?
La programmation du GED s’est appuyée sur un concept de « bibliothèque laboratoire », qui repose sur plusieurs principes fondamentaux :
- un lien organique entre la documentation et la recherche, avec la présence de collections d’archives aux côtés des collections documentaires « classiques » ;
- une bibliothèque en phase avec son temps, son public et son territoire ;
- une bibliothèque dont l’équipement répond aux grands standards internationaux.
Le projet original de créer au sein du GED un « centre des archives en sciences humaines et sociales » a été voté par le Conseil d’administration du Campus dès 2010. Mais il fallait encore en préciser le périmètre (archives scientifiques/archives administratives) et réfléchir au dispositif à mettre en place. Les archivistes de l’EHESS se sont beaucoup investis sur ce dossier. Je vous renvoie pour en savoir plus à l’interview de Julien Blanc, chargé de mission Archives depuis mars 2018, dans la dernière lettre de l’Ecole.
Le GED sera structuré autour d’un forum central, desservant des espaces d’exposition, un café, une librairie ainsi qu’une salle d’études accessible à tous. Il offrira sur 3 niveaux aux chercheurs, aux étudiants de master et de doctorat ainsi qu’à tous les usagers du Campus, un accès immédiat aux ressources, une plateforme de services et un grand confort d’usage (27 km linéaires de documents en libre accès, 10 réserves pour les documents rares et les archives, 1 300 places assises, 45 salles de travail en groupe et de séminaires, 1 salle de consultation encadrée). Les travaux ont été lancés en mai 2018 et confiés à l’entreprise Bouygues pour le gros œuvre étendu.
Quels sont les enjeux pour 2019-2020 ?
- Réussir le « GED hors les murs »
L’année 2019 est celle des premiers déménagements d’unités sur le Campus alors même que le GED n’ouvrira que fin 2020-début 2021. Aussi, afin de permettre une installation des équipes de recherche dans les meilleures conditions possibles, une solution de continuité documentaire a été mise en place : l’ouverture d’un « GED hors les murs » qui permettra aux chercheurs de bénéficier d’une offre de documentation et de services sur le site d’Aubervilliers.
Les collègues bibliothécaires et archivistes vont donc être mobilisés – et nos collègues du CéSor dès cette année – par le lourd travail de préparation des collections et des fonds d’archives à déménager. Parallèlement, l’équipe projet GED – avec des professionnels des établissements membres (Jovan Latinovic pour l’EHESS) – travaillent à la création du catalogue unifié de l’ensemble des bibliothèques et centres de documentation qui rejoindront le Campus. Il s’agira également pendant cette période d’initier la politique d’acquisition des futurs ouvrages et ressources numériques.
- Préserver le lien entre la documentation et la recherche
Le GED est un projet ambitieux dont le principal défi est de réussir à maintenir le lien organique entre documentation et recherche que nous faisons vivre au quotidien dans notre communauté. Nous sommes devant un changement d’échelle et d’écosystème qui n’est pas sans susciter de légitimes inquiétudes de la part des professionnels de la documentation comme des chercheurs. Il est impératif d’arriver à maintenir un dialogue de qualité entre tous les interlocuteurs afin que chacune et chacun puisse trouver sa place – sans perdre son expertise – dans un environnement documentaire revisité. Et de garder comme objectif la construction d’une offre documentaire et de services de qualité qui réponde aux besoins des futurs usagers du GED.
Pour en savoir plus :
[1] Le Campus Condorcet. Un campus international dans la ville, 10 février 2009, 76 p.